Le Monde de Aicha Bassou
Page 2 sur 2
Page 2 sur 2 • 1, 2
23052009
Le Monde de Aicha Bassou
Je remercie par la présente, le Docteur Mouhib, de m'avoir autorisé à partager
avec vous ces palpitantes aventures dont il est l'auteur.
Nous montions derrière l'infirmier major Mr Ouadichane, la piste pierreuse qui grimpe sur le
plateau. Nous étions un médecin et deux infirmiers. Nous allions par cette journée de novembre
consulter les enfants atteints de bouzougagh (rougeole) dans le village enclavé
Tigharmine, un coin perdu de la haute Moulouya orientale.
Notre arrivée ayant été saluée à coups de pierres, nous est-il permit d'en augurer
quelques succès dans notre tâche de quelques jours ?
Docteur Bouflja, Le jeune médecin exerçant à Meknès, ne cache pas son inquiètude.
- Les gens n'ont pas l'air commode, ici, qu'est-ce que nous allons bien pouvoir faire ?
- Vous allez les aimer, répond simplement Ouadichane, originaire d'un village non loin de
Tigharmine.
- Aimer ! s'exclama Chakour, l'infirmier originaire de Tadla.
Comme s'il avait le pouvoir de révolter les forces malfaisantes, une ruée de pierres
nous enveloppa.
Là haut, un petit mioche de rien du tout barbouillé et loqueteux nous lançait des cailloux.
Dressé sur une colline, face à nous, il semblait prendre la responsabilité de ses actes
ne cherchait ni à se cacher ni à fuire.
Et le grand Ouadichane souriant, sa casquette rejetée en arrière montait le premier avec la
sérénité de quelqu'un qui recevait les dattes et du lait un jour de fête.
Les cailloux continuaient à pleuvoir. Ils nous rasaient, nous frôlaient, sifflotaient
à nos oreilles sans nous atteindre.
L'infirmier major parlant la langue du petit, lui lança :
" mayde da teggad aya naghdim ? tedide adakh temrzde ! " (arrête, espèce de
gredin, tu risques de nous blesser).
Arrivé face au gamin Ouadichane lui sourit et disait :
" Amamiss n'lahrame tassende taddarte n'lamkaddem ? " (espèce de batârd,
connais-tu la maison du mkaddem).
Le jeune homme, qui pouvait bien avoir douze ans, s'attendait à recevoir autre
chose qu'un sourire, poitrine haletante, reniflant avec force et déclarait.
Si je la connais ! C'est la maison de notre voisine khalti Aicha Bassou,
l'amkaddem Ali outamargharte est son fils. Il habite chez elle.
Eh bien ! veux-tu nous indiquer le chemin ?
Vous n'avez qu'à me suivre ...
A suivre ....
avec vous ces palpitantes aventures dont il est l'auteur.
Nous montions derrière l'infirmier major Mr Ouadichane, la piste pierreuse qui grimpe sur le
plateau. Nous étions un médecin et deux infirmiers. Nous allions par cette journée de novembre
consulter les enfants atteints de bouzougagh (rougeole) dans le village enclavé
Tigharmine, un coin perdu de la haute Moulouya orientale.
Notre arrivée ayant été saluée à coups de pierres, nous est-il permit d'en augurer
quelques succès dans notre tâche de quelques jours ?
Docteur Bouflja, Le jeune médecin exerçant à Meknès, ne cache pas son inquiètude.
- Les gens n'ont pas l'air commode, ici, qu'est-ce que nous allons bien pouvoir faire ?
- Vous allez les aimer, répond simplement Ouadichane, originaire d'un village non loin de
Tigharmine.
- Aimer ! s'exclama Chakour, l'infirmier originaire de Tadla.
Comme s'il avait le pouvoir de révolter les forces malfaisantes, une ruée de pierres
nous enveloppa.
Là haut, un petit mioche de rien du tout barbouillé et loqueteux nous lançait des cailloux.
Dressé sur une colline, face à nous, il semblait prendre la responsabilité de ses actes
ne cherchait ni à se cacher ni à fuire.
Et le grand Ouadichane souriant, sa casquette rejetée en arrière montait le premier avec la
sérénité de quelqu'un qui recevait les dattes et du lait un jour de fête.
Les cailloux continuaient à pleuvoir. Ils nous rasaient, nous frôlaient, sifflotaient
à nos oreilles sans nous atteindre.
L'infirmier major parlant la langue du petit, lui lança :
" mayde da teggad aya naghdim ? tedide adakh temrzde ! " (arrête, espèce de
gredin, tu risques de nous blesser).
Arrivé face au gamin Ouadichane lui sourit et disait :
" Amamiss n'lahrame tassende taddarte n'lamkaddem ? " (espèce de batârd,
connais-tu la maison du mkaddem).
Le jeune homme, qui pouvait bien avoir douze ans, s'attendait à recevoir autre
chose qu'un sourire, poitrine haletante, reniflant avec force et déclarait.
Si je la connais ! C'est la maison de notre voisine khalti Aicha Bassou,
l'amkaddem Ali outamargharte est son fils. Il habite chez elle.
Eh bien ! veux-tu nous indiquer le chemin ?
Vous n'avez qu'à me suivre ...
A suivre ....
waz- utilisateur
- Nombre de messages : 3120
Age : 67
Localisation : lille
Date d'inscription : 04/10/2008
Le Monde de Aicha Bassou :: Commentaires
Re: Le Monde de Aicha Bassou
Les cousines dormirent profondèment, jusqu'à ce qu'elles soient réveillées par Rabha,
la mère de Hajjou. Elles plièrent soigneusement leur Tissi (literie).
Hajjou s'agenouilla pour ouvrir le volet en bois de la seule fenêtre de la chambre.
Une fenêtre minuscule qui était si basse. Dehors le temps était splendide. Les petits
lopins de terre labourés étaient encore de couleur marron, car le blé et l'orge
germaient à peine.
Les deux jeunes filles se dirigèrent vers la grande salle où la famille prenait son petit
déjeuner fait d'Ahrir (bouillie de farine d'orge).
A cet instant Ouadichan tapa à la porte, il venait voir le vieux rebouteux, du moins c'est
ce qu'il prétendait. Le matin, dans l'après-midi, le soir, chaque jour il était là et il y
restait longtemps, cela durait depuis le premier jour de la consultation. Il disait qu'il
aimait les paroles d'Ami N'barch et qu'il s'intéressait à l'histoire de la région que ce
dernier maitrisait très bien. Il ne cessait de dire que le vieux rebouteux était une
bibiliothèque vivante. Ouadichan salua tout le monde, baisa la main de Aicha Bassou
et s'inclina sur l'épaule du vieux N'barch comme il convient de faire aux personnes
qu'on honore.
Aicha lui offrit une peau de mouton pour s'installer entre elle et son cousin le
rebouteux. Rabha lui tendit aussitôt un bol de bouillie.
Le regard de Ouadichan tomba sur son aimée qui était assise en face de lui, il se mit
à l'observer tout en soufflant sur sa bouillie chaude. Il la suivait des yeux tandis qu'elle
portait son bol à la bouche, y trempait ses lèvres minces et avalait le breuvage onctueux.
Elle était couronnée d'une masse de cheveux couleur Iderrans mures (châtain) qui
émerveillait Ouadichan. Il émanait d'elle, en dépit de son bas âge, une diginité
rappelant celle d'Aicha Bassou. Soudain Tassekourt jeta vers Ouadichan, avec
Aoujim N'Tit (coin de l'oeil) un regard furtif. Elle le surprenait qu'il la regardait immobile,
il lui sourit et Tassekourt devint toute rouge, le sang de la honte lui montait au visage.
Elle se sentit très gênée et esquissa un sourire des coins des lèvres. En ce moment,
Aicha Bassou interrompit le silence et rendit Ouadichant du monde des rêves et des
émotions au dur monde de la réalité.
Avez-vous fini votre travail à Tighermin ?
Demain, ce sera le dernier jour de vaccination chez vous, mais le Dr Boufelja,
profitant du beau temps de ces jours ci, a décidé de finir le programme de
vaccination dans les localités avoisinantes : Anefgou, Tirghist, et Tighedouine.
Ce qui va prolonger notre séjour dans la région.
Et il ajouta :
Je ne manquerai pas de vous rendre visite, puisque nous allons continuer à loger
dans la maison du garde forestier.
Mrehba ich (tu es le bienvenu), lui répondit Aicha Bassou avant de s'adresser à sa bru.
On dit souvent : avant la neige on a le beau temps pendant quelques jours, nous devons
nous aussi profiter de ce temps pour travailler la laine. L'hiver va venir et on
restera enfermés pour plusieurs semaines, sinon plusieurs mois.
De nouveau chacun se tut, Ouadichan qui avait tardé à contempler Tassekourt ,
buvait bruyamment, gorgée par gorgée, le fond de son bol d'Ahrir.
la mère de Hajjou. Elles plièrent soigneusement leur Tissi (literie).
Hajjou s'agenouilla pour ouvrir le volet en bois de la seule fenêtre de la chambre.
Une fenêtre minuscule qui était si basse. Dehors le temps était splendide. Les petits
lopins de terre labourés étaient encore de couleur marron, car le blé et l'orge
germaient à peine.
Les deux jeunes filles se dirigèrent vers la grande salle où la famille prenait son petit
déjeuner fait d'Ahrir (bouillie de farine d'orge).
A cet instant Ouadichan tapa à la porte, il venait voir le vieux rebouteux, du moins c'est
ce qu'il prétendait. Le matin, dans l'après-midi, le soir, chaque jour il était là et il y
restait longtemps, cela durait depuis le premier jour de la consultation. Il disait qu'il
aimait les paroles d'Ami N'barch et qu'il s'intéressait à l'histoire de la région que ce
dernier maitrisait très bien. Il ne cessait de dire que le vieux rebouteux était une
bibiliothèque vivante. Ouadichan salua tout le monde, baisa la main de Aicha Bassou
et s'inclina sur l'épaule du vieux N'barch comme il convient de faire aux personnes
qu'on honore.
Aicha lui offrit une peau de mouton pour s'installer entre elle et son cousin le
rebouteux. Rabha lui tendit aussitôt un bol de bouillie.
Le regard de Ouadichan tomba sur son aimée qui était assise en face de lui, il se mit
à l'observer tout en soufflant sur sa bouillie chaude. Il la suivait des yeux tandis qu'elle
portait son bol à la bouche, y trempait ses lèvres minces et avalait le breuvage onctueux.
Elle était couronnée d'une masse de cheveux couleur Iderrans mures (châtain) qui
émerveillait Ouadichan. Il émanait d'elle, en dépit de son bas âge, une diginité
rappelant celle d'Aicha Bassou. Soudain Tassekourt jeta vers Ouadichan, avec
Aoujim N'Tit (coin de l'oeil) un regard furtif. Elle le surprenait qu'il la regardait immobile,
il lui sourit et Tassekourt devint toute rouge, le sang de la honte lui montait au visage.
Elle se sentit très gênée et esquissa un sourire des coins des lèvres. En ce moment,
Aicha Bassou interrompit le silence et rendit Ouadichant du monde des rêves et des
émotions au dur monde de la réalité.
Avez-vous fini votre travail à Tighermin ?
Demain, ce sera le dernier jour de vaccination chez vous, mais le Dr Boufelja,
profitant du beau temps de ces jours ci, a décidé de finir le programme de
vaccination dans les localités avoisinantes : Anefgou, Tirghist, et Tighedouine.
Ce qui va prolonger notre séjour dans la région.
Et il ajouta :
Je ne manquerai pas de vous rendre visite, puisque nous allons continuer à loger
dans la maison du garde forestier.
Mrehba ich (tu es le bienvenu), lui répondit Aicha Bassou avant de s'adresser à sa bru.
On dit souvent : avant la neige on a le beau temps pendant quelques jours, nous devons
nous aussi profiter de ce temps pour travailler la laine. L'hiver va venir et on
restera enfermés pour plusieurs semaines, sinon plusieurs mois.
De nouveau chacun se tut, Ouadichan qui avait tardé à contempler Tassekourt ,
buvait bruyamment, gorgée par gorgée, le fond de son bol d'Ahrir.
Le sourire, avec lequel Tassekourt, avait gratifié Ouadichan le transportait de joie.
En sortant de chez les Ait Bassou, il sentait toutes les brumes de son âme se dissiper.
Pour lui, le sourire émanant du gracieux visage de son aimée, quoique timide,
était une franche déclaration d'amour. Il était comme fou. Avec sa taguia (calotte)
enfoncée sur ses oreilles sur son crâne dégarni et le burnous de Ali Outemghart
sur les épaules, il décida d'aller au pélérinage du tombeau de Sidi Aamer Ouhalli,
afin d'expier ses péchés passés devant l'Agouram (le saint) et de lui demander
de lui accorder sa bénédiction. Il tournait le dos aux maisons et aux maigres cultures
de Tighermine et emprunta un sentier muletier qui monte en zigzag au dessus du village.
Il arriva au bout de quelques heures sur le haut d'Agheddou et les sommets de la
région de Tirghist. De là, le paysage est grandiose. Sous les quelques nuages bas
qui couraient bien vers l'horizon, le regard embrasse sur l'autre versant, des montagnes
ocres, et par endroits vertes de chênes rabougris, ainsi que les méandres de
l'Assif Ikassen (rivière) et les plateaux de l'Issourta sillonnés par l'Assif N'Ouirin.
Ces montagnes, avec leurs forêts, leurs vallées, et leurs gorges n'avaient pas
de secret pour Ouadichan. Comme les garçons qu'il avait rencontrés sur le chemin, il
avait commencé tôt à courir ces reliefs à travailler dans les champs. Il avait comme eux
des instincts de chasse. Il se livrait avec frénésie, comme le fait aujourd'hui
Rahou Aneghdim, à la chasse des Idouis (gerboises). Il avait suivi des moutons et les
chèvres dans les Ilmouten (prairies) rares de ces contrées. Il s'était caché dans les
grottes, pour fuir les orages fréquents de ces altitudes.
Entre les rochers, au bord des ruisseaux, des Oueds et des séguias, il avait, avec
ses amis, cherché les herbes comestibles (guizguiz, aoujdem, ... ).
Ce paradis, Ouadichan, l'avait perdu depuis qu'il avait réussi ses études primaires
à Tounfit. Son rêve aujourd'hui est de revenir y vivre avec son amour Tassekourt.
Il dégringola à travers la belle forêt de cèdres et de chênes verts, en empruntant
la descente qui mène vers l'Assif N'Ougheddou pour arriver au beau village de
l'Agouram Sidi Amer Ouhelli. Village aux maisons aveugles, ramassées autour du
tombeau de l'Agouram.
Se rendre au tombeau de Sidi Amer, cela ne lui était pas arrivé depuis plusieurs
années. Il atteignait le tombeau, y pénétra en répétant le mot Tesslim (paix).
Des souvenirs de son enfance effleurèrent sa mémoire. Souvenir du temps où il
visitait ce lieu avec sa défunte mère, avec l'âme calme et sans soucis. Il invoquait
Sidi Amer Ouhelli avec tout son être et son âme. Il s'inclinait sur sa tombe et ne
cessait de dire, les larmes aux yeux,
Aha Sidi Amer, yikh tawaglalt, zlani imekssaoun (je suis comme une brebis touchée
du tournis, je me sens perdu). Je te demande d'intercéder pour moi auprès de Dieu,
toi qui est connu pour ta force magique ambivalente car tu peux punir comme tu
peux répandre le bien. Je te prie de nous protéger, Tassekourt et moi, du mauvais
oeil et de faciliter notre union. Je te demande également d'accabler de malheur
mon épouse Souad, source de mes tracas et d'activer notre séparation.
La dessus il lit la Fatiha, passa les paumes de ses mains sur son visage. Et conclut
par un Amine A Rebbi prononcé à très haute voix.
En sortant de chez les Ait Bassou, il sentait toutes les brumes de son âme se dissiper.
Pour lui, le sourire émanant du gracieux visage de son aimée, quoique timide,
était une franche déclaration d'amour. Il était comme fou. Avec sa taguia (calotte)
enfoncée sur ses oreilles sur son crâne dégarni et le burnous de Ali Outemghart
sur les épaules, il décida d'aller au pélérinage du tombeau de Sidi Aamer Ouhalli,
afin d'expier ses péchés passés devant l'Agouram (le saint) et de lui demander
de lui accorder sa bénédiction. Il tournait le dos aux maisons et aux maigres cultures
de Tighermine et emprunta un sentier muletier qui monte en zigzag au dessus du village.
Il arriva au bout de quelques heures sur le haut d'Agheddou et les sommets de la
région de Tirghist. De là, le paysage est grandiose. Sous les quelques nuages bas
qui couraient bien vers l'horizon, le regard embrasse sur l'autre versant, des montagnes
ocres, et par endroits vertes de chênes rabougris, ainsi que les méandres de
l'Assif Ikassen (rivière) et les plateaux de l'Issourta sillonnés par l'Assif N'Ouirin.
Ces montagnes, avec leurs forêts, leurs vallées, et leurs gorges n'avaient pas
de secret pour Ouadichan. Comme les garçons qu'il avait rencontrés sur le chemin, il
avait commencé tôt à courir ces reliefs à travailler dans les champs. Il avait comme eux
des instincts de chasse. Il se livrait avec frénésie, comme le fait aujourd'hui
Rahou Aneghdim, à la chasse des Idouis (gerboises). Il avait suivi des moutons et les
chèvres dans les Ilmouten (prairies) rares de ces contrées. Il s'était caché dans les
grottes, pour fuir les orages fréquents de ces altitudes.
Entre les rochers, au bord des ruisseaux, des Oueds et des séguias, il avait, avec
ses amis, cherché les herbes comestibles (guizguiz, aoujdem, ... ).
Ce paradis, Ouadichan, l'avait perdu depuis qu'il avait réussi ses études primaires
à Tounfit. Son rêve aujourd'hui est de revenir y vivre avec son amour Tassekourt.
Il dégringola à travers la belle forêt de cèdres et de chênes verts, en empruntant
la descente qui mène vers l'Assif N'Ougheddou pour arriver au beau village de
l'Agouram Sidi Amer Ouhelli. Village aux maisons aveugles, ramassées autour du
tombeau de l'Agouram.
Se rendre au tombeau de Sidi Amer, cela ne lui était pas arrivé depuis plusieurs
années. Il atteignait le tombeau, y pénétra en répétant le mot Tesslim (paix).
Des souvenirs de son enfance effleurèrent sa mémoire. Souvenir du temps où il
visitait ce lieu avec sa défunte mère, avec l'âme calme et sans soucis. Il invoquait
Sidi Amer Ouhelli avec tout son être et son âme. Il s'inclinait sur sa tombe et ne
cessait de dire, les larmes aux yeux,
Aha Sidi Amer, yikh tawaglalt, zlani imekssaoun (je suis comme une brebis touchée
du tournis, je me sens perdu). Je te demande d'intercéder pour moi auprès de Dieu,
toi qui est connu pour ta force magique ambivalente car tu peux punir comme tu
peux répandre le bien. Je te prie de nous protéger, Tassekourt et moi, du mauvais
oeil et de faciliter notre union. Je te demande également d'accabler de malheur
mon épouse Souad, source de mes tracas et d'activer notre séparation.
La dessus il lit la Fatiha, passa les paumes de ses mains sur son visage. Et conclut
par un Amine A Rebbi prononcé à très haute voix.
Aicha Bassou était blottie contre la grosse poutre en bois tordu
de sa Tanessrit (chambre de l'étage). Elle triait les Tlissine
(les toisons de laine), les soupesait les unes après les autres,
en éprouvait la qualité de la laine en évaluant sa longueur et
sa résistance. Elle en avait choisi les plus belles. Rabha,
Hajjou et Tassekourt savaient que la vieille femme tenait
beaucoup à un tapis qu'elle comptait exécuter avec le
plus grand soin, allant jusqu'à y travailler elle-même.
Elle comptait également pour la réalisation de cet ouvrage
sur l'aide de sa bru et de sa voisine Takrirout dont elle
estimait bien l'habilité.
Si Aicha Bassou attachait tant d'importance à ce tapis,
c'était qu'elle avait l'intention de l'avoir à la fête de
Timeghriouine (mariage collectif) qui aura lieu au mois
de juin.
Le tissage devait commencer au plus vite si elle tenait à le
terminer pour la fête où elle comptait marier
Mha Ou Kousser, son jeune homme à tout faire, avec sa
petite fille Hajjou.
Personne dans la maison, à part son fils Ali, n'était au
courant du projet. La vieille femme toujours égale à elle-même,
souhaitait par ce tapis, qui sera multicolore, épater les
Ait Taqbilt (les gens de la tribu).
De son côté Rabha, sa bru, cherchait dans un grand
Sandouk (caisse), tout ce qui pouvait servir au nouvel
Asseta (métier), les restes de pelotes de laine, les
plantes tinctoriales ...
Récupérer tout ce qui pouvait l'être était l'un des principes
de Aicha Bassou, principe qu'elle perpétuait à sa bru et que,
elle, devait passer à sa fille Hajjou.
Dans la cuisine, quand le tajine fut cuit, Hajjou déposa sur
l'Almessi (fourneau) la plus grande des marmites et fit
chauffer de l'eau pour le lavage des cheveux. Les deux
jeunes filles devaient se préparer pour la fête du baptême
qui aura lieu chez Takrirout dans quelques jours.
Hajjou ferma la porte de la cuisine, ramena une grande
bassine et s'approcha de sa cousine.
Laisse moi faire !
Elle s'empara de la belle et épaisse natte de Tassekourt et
se mit à la défaire mèche par mèche.
Tu as vraiment des cheveux splendides !
Tu as aussi de beaux cheveux, Hajjou, j'aime leur couleur
noire de plumage des Ikajoun (corneilles).
A son tour Tassekourt dénoua la natte de Hajjou, elles
restèrent un moment à se laver les cheveux, se brossèrent
mutuellement avant de les tresser chacune pour soi.
Tout en manipulant ses cheveux Hajjou s'adressa à sa
cousine :
As-tu remarqué la façon dont cet Ouadichan te dévisageait
hier au déjeuner ?
Tassekourt rougit,
Isshechmi s'ousghouzzer ness (il m'a vraiment intimidé avec
ses oeillades enflammées), répondit Tassekourt !
Et tu sais qu'il est marié ?
S'nit ? (est-ce vrai ?)
Je l'ai entendu dire à Nana Aicha qui lui avait posé la question :
Ioulekh, our ioulekh ... (je suis marié sans être vraiment marié).
Et Tassekourt d'ajouter :
Aanikh our ibouna choui ouryaz na ! (il me semble qu'il n'est
pas tout à fait normal cet homme).
de sa Tanessrit (chambre de l'étage). Elle triait les Tlissine
(les toisons de laine), les soupesait les unes après les autres,
en éprouvait la qualité de la laine en évaluant sa longueur et
sa résistance. Elle en avait choisi les plus belles. Rabha,
Hajjou et Tassekourt savaient que la vieille femme tenait
beaucoup à un tapis qu'elle comptait exécuter avec le
plus grand soin, allant jusqu'à y travailler elle-même.
Elle comptait également pour la réalisation de cet ouvrage
sur l'aide de sa bru et de sa voisine Takrirout dont elle
estimait bien l'habilité.
Si Aicha Bassou attachait tant d'importance à ce tapis,
c'était qu'elle avait l'intention de l'avoir à la fête de
Timeghriouine (mariage collectif) qui aura lieu au mois
de juin.
Le tissage devait commencer au plus vite si elle tenait à le
terminer pour la fête où elle comptait marier
Mha Ou Kousser, son jeune homme à tout faire, avec sa
petite fille Hajjou.
Personne dans la maison, à part son fils Ali, n'était au
courant du projet. La vieille femme toujours égale à elle-même,
souhaitait par ce tapis, qui sera multicolore, épater les
Ait Taqbilt (les gens de la tribu).
De son côté Rabha, sa bru, cherchait dans un grand
Sandouk (caisse), tout ce qui pouvait servir au nouvel
Asseta (métier), les restes de pelotes de laine, les
plantes tinctoriales ...
Récupérer tout ce qui pouvait l'être était l'un des principes
de Aicha Bassou, principe qu'elle perpétuait à sa bru et que,
elle, devait passer à sa fille Hajjou.
Dans la cuisine, quand le tajine fut cuit, Hajjou déposa sur
l'Almessi (fourneau) la plus grande des marmites et fit
chauffer de l'eau pour le lavage des cheveux. Les deux
jeunes filles devaient se préparer pour la fête du baptême
qui aura lieu chez Takrirout dans quelques jours.
Hajjou ferma la porte de la cuisine, ramena une grande
bassine et s'approcha de sa cousine.
Laisse moi faire !
Elle s'empara de la belle et épaisse natte de Tassekourt et
se mit à la défaire mèche par mèche.
Tu as vraiment des cheveux splendides !
Tu as aussi de beaux cheveux, Hajjou, j'aime leur couleur
noire de plumage des Ikajoun (corneilles).
A son tour Tassekourt dénoua la natte de Hajjou, elles
restèrent un moment à se laver les cheveux, se brossèrent
mutuellement avant de les tresser chacune pour soi.
Tout en manipulant ses cheveux Hajjou s'adressa à sa
cousine :
As-tu remarqué la façon dont cet Ouadichan te dévisageait
hier au déjeuner ?
Tassekourt rougit,
Isshechmi s'ousghouzzer ness (il m'a vraiment intimidé avec
ses oeillades enflammées), répondit Tassekourt !
Et tu sais qu'il est marié ?
S'nit ? (est-ce vrai ?)
Je l'ai entendu dire à Nana Aicha qui lui avait posé la question :
Ioulekh, our ioulekh ... (je suis marié sans être vraiment marié).
Et Tassekourt d'ajouter :
Aanikh our ibouna choui ouryaz na ! (il me semble qu'il n'est
pas tout à fait normal cet homme).
Très tôt le matin, Aicha Bassou promena son regard dans le
ciel. Elle reconnaissait les isseflilan (petits nuages cotonneux)
qui annonçaient le beau temps.
La vieille femme fit hâter le petit déjeuner afin que sa bru et
les deux jeunes filles aillent laver la laine à Aghbalou
(la source). Dans la lumière triomphante du matin, Rabha,
sa fille Hajjou et sa nièce Tassekourt suivaient à pied le
mulet efflanqué d'un Chouari (couffin de paille tressée)
plein de toisons et de paniers d'osier nécessaire au
transport de la laine lavée.
Pendant que Hajjou attachait le mulet à un chêne non loin
du ruisseau buissonneux, la brave Rabha aidée de
Tassekourt, préparait des bassins en pierre pour y
décrasser la laine sale, à l'aide de Tighirecht
(plante saponifère).
Tout en battant la laine mouillée sur des pierres lisses
et dures du ruisseau, les deux jeunes filles chantaient
à gorge déployée des mélodies berbères qu'elles
connaissaient par coeur.
La forêt de Moaskar faisait écho à leurs voix ensorcelantes.
C'était poignant.
Rabha paraissait toute contente des prouesses de sa
fille et de sa nièce. Elle continuait à battre la laine en
faisant semblant de ne pas prêter attention à ce qu'elles
faisaient. A un certain moment elles chantaient un Izli
qui vante le travail de la laine :
Iddiss our tessin maich tado awa ...
Alliy ourtelssid tajellabit awa ...
(ta mère ne s'y connait-elle pas en matière de laine ...
Pour que tu ne sois pas habillé en djellaba ...)
Un peu avant l'heure de Dohr (environ 13 heures) les
chants des jeunes filles cessaient peu à peu. On
interrompit le lavage de la laine pour prendre le maigre
repas du milieu de la journée fait de dattes et de pain.
Au crépuscule, le lavage terminé, Rabha s'adressa
aux jeunes filles :
Rentrons et pressons le pas, si nous tardons trop,
la vache entrerait avant nous et le veau risquerait de
têter tout le lait de sa mère, ce qui nous priverait du
lait de la journée.
Après le diner, Hajjou s'adressa à sa cousine :
Ta gaieté de tout à l'heure m'a procuré du plaisir.
Tassekourt sourit et dit :
Je ne sais pas. Je ris, je pleure mais j'ai l'impression
que tout est factice. Il me semble que je suis nuit et jour
en train de rêver, mais les izlanes (chants) de tout à
l'heure m'ont fait beaucoup de bien, ils m'ont surtout fait
oublié Tanaimalt N'Oubaw (le vaurien).
ciel. Elle reconnaissait les isseflilan (petits nuages cotonneux)
qui annonçaient le beau temps.
La vieille femme fit hâter le petit déjeuner afin que sa bru et
les deux jeunes filles aillent laver la laine à Aghbalou
(la source). Dans la lumière triomphante du matin, Rabha,
sa fille Hajjou et sa nièce Tassekourt suivaient à pied le
mulet efflanqué d'un Chouari (couffin de paille tressée)
plein de toisons et de paniers d'osier nécessaire au
transport de la laine lavée.
Pendant que Hajjou attachait le mulet à un chêne non loin
du ruisseau buissonneux, la brave Rabha aidée de
Tassekourt, préparait des bassins en pierre pour y
décrasser la laine sale, à l'aide de Tighirecht
(plante saponifère).
Tout en battant la laine mouillée sur des pierres lisses
et dures du ruisseau, les deux jeunes filles chantaient
à gorge déployée des mélodies berbères qu'elles
connaissaient par coeur.
La forêt de Moaskar faisait écho à leurs voix ensorcelantes.
C'était poignant.
Rabha paraissait toute contente des prouesses de sa
fille et de sa nièce. Elle continuait à battre la laine en
faisant semblant de ne pas prêter attention à ce qu'elles
faisaient. A un certain moment elles chantaient un Izli
qui vante le travail de la laine :
Iddiss our tessin maich tado awa ...
Alliy ourtelssid tajellabit awa ...
(ta mère ne s'y connait-elle pas en matière de laine ...
Pour que tu ne sois pas habillé en djellaba ...)
Un peu avant l'heure de Dohr (environ 13 heures) les
chants des jeunes filles cessaient peu à peu. On
interrompit le lavage de la laine pour prendre le maigre
repas du milieu de la journée fait de dattes et de pain.
Au crépuscule, le lavage terminé, Rabha s'adressa
aux jeunes filles :
Rentrons et pressons le pas, si nous tardons trop,
la vache entrerait avant nous et le veau risquerait de
têter tout le lait de sa mère, ce qui nous priverait du
lait de la journée.
Après le diner, Hajjou s'adressa à sa cousine :
Ta gaieté de tout à l'heure m'a procuré du plaisir.
Tassekourt sourit et dit :
Je ne sais pas. Je ris, je pleure mais j'ai l'impression
que tout est factice. Il me semble que je suis nuit et jour
en train de rêver, mais les izlanes (chants) de tout à
l'heure m'ont fait beaucoup de bien, ils m'ont surtout fait
oublié Tanaimalt N'Oubaw (le vaurien).
Ouadichan avait passé la nuit dans le sanctuaire de
Sidi Amar Ouhelli. C'était une nuit agitée par les aboiements
de chiens et de chacals. En pleine nuit, il se demanda ce
qu'il faisait là, lui, l'infirmier qui était en contact permanent
avec la médecine moderne, que doit-il attendre de
l'intercession d'un mort ?
Plus tard le docteur Boufelja lui expliqua que beaucoup
d'intellectuels sont comme lui. Ils ont un mode de pensée
électif et contradictoire. Ils sont attirés de temps à autre
par le secteur traditionnel qui leur procure l'attrait du
mystère, du rituel et de la nostalgie du passé.
Toujours est-il qu'Ouadichan le lendemain de cette
Ziara (pélérinage), avait l'âme apaisée. Il se sentait
apte à dompter ses angoisses, à être objectif et à
affronter la réalité.
Il s'aspergea d'un peu d'eau à la fontaine du saint et
prit le chemin du retour. Il marcha vite et se rendit à
Tighermin plus rapidement qu'il ne l'espérait. Aucune
idée précise n'était en lui, simplement il se répétait
qu'il irait se dénicher un poste d'infirmier au dispensaire
de Tounfit pour être à côté de sa bien-aimée et des
siens. Il rêvait de mener une vie simple dans son fief
loin de la vie trépidante des villes. Il ne déserterait plus
les terres de ses ancêtres, il se réconcilierait avec
l'âme de ses grands parents qui reposent dans le
cimetière de son village. Il ne resterait plus l'ingrat
envers leurs mémoires, eux qui avaient tant peinés
pour lui léguer des terres et des biens. Il ne cessait de
dire : Je dois mettre fin à tout ce qui avait brisé ma vie.
Dikh ad bedelkh aslikh am'ifighr ( je vais changer de
peau comme un serpent).
Le soleil était au crépuscule lorsqu'il atteignit les
premières maisons de Tighermin.
Et, au lieu de se diriger directement vers la maison du
garde forestier, où étaient ses collégues. Il se rendit
chez les Ait Bassou, il entra sans cogner à la porte.
Tassekourt qui filait la laine, avec un Izdi (fuseau), ne
s'était pas aperçu que Hajjou avait quitté la pièce. Quand
elle releva la tête, elle vit près d'elle le jeune infirmier.
Il cherchait ses mots :
M'selkhir, labass ? (bonsoir, ça va ?)
Il tapa dans la paume de la jeune fille et baisa son
propre index. Il plongea son regard dans les beaux yeux
noirs de la belle fille et lui sourit avec sympathie.
La jeune fille rougit, baissa les yeux, mordit sa lèvre
inférieure et sourit avec confusion. Ouadichan se sentit
saisi par quelque vague d'euphorie. A ce moment précis,
Mha Oukousser entra dans la pièce les bras pleins de
bûches de bois. Tassekourt s'est sauvée et Ouadichan,
pour prendre une contenance, dit à Mha :
Iouikhed Azenar n'Ali Outemghart ( j'ai ramené le burnous
de Ali Outemghart). Le brave Mha lui répondit :
M'rehba ich (sois le bienvenu).
Sidi Amar Ouhelli. C'était une nuit agitée par les aboiements
de chiens et de chacals. En pleine nuit, il se demanda ce
qu'il faisait là, lui, l'infirmier qui était en contact permanent
avec la médecine moderne, que doit-il attendre de
l'intercession d'un mort ?
Plus tard le docteur Boufelja lui expliqua que beaucoup
d'intellectuels sont comme lui. Ils ont un mode de pensée
électif et contradictoire. Ils sont attirés de temps à autre
par le secteur traditionnel qui leur procure l'attrait du
mystère, du rituel et de la nostalgie du passé.
Toujours est-il qu'Ouadichan le lendemain de cette
Ziara (pélérinage), avait l'âme apaisée. Il se sentait
apte à dompter ses angoisses, à être objectif et à
affronter la réalité.
Il s'aspergea d'un peu d'eau à la fontaine du saint et
prit le chemin du retour. Il marcha vite et se rendit à
Tighermin plus rapidement qu'il ne l'espérait. Aucune
idée précise n'était en lui, simplement il se répétait
qu'il irait se dénicher un poste d'infirmier au dispensaire
de Tounfit pour être à côté de sa bien-aimée et des
siens. Il rêvait de mener une vie simple dans son fief
loin de la vie trépidante des villes. Il ne déserterait plus
les terres de ses ancêtres, il se réconcilierait avec
l'âme de ses grands parents qui reposent dans le
cimetière de son village. Il ne resterait plus l'ingrat
envers leurs mémoires, eux qui avaient tant peinés
pour lui léguer des terres et des biens. Il ne cessait de
dire : Je dois mettre fin à tout ce qui avait brisé ma vie.
Dikh ad bedelkh aslikh am'ifighr ( je vais changer de
peau comme un serpent).
Le soleil était au crépuscule lorsqu'il atteignit les
premières maisons de Tighermin.
Et, au lieu de se diriger directement vers la maison du
garde forestier, où étaient ses collégues. Il se rendit
chez les Ait Bassou, il entra sans cogner à la porte.
Tassekourt qui filait la laine, avec un Izdi (fuseau), ne
s'était pas aperçu que Hajjou avait quitté la pièce. Quand
elle releva la tête, elle vit près d'elle le jeune infirmier.
Il cherchait ses mots :
M'selkhir, labass ? (bonsoir, ça va ?)
Il tapa dans la paume de la jeune fille et baisa son
propre index. Il plongea son regard dans les beaux yeux
noirs de la belle fille et lui sourit avec sympathie.
La jeune fille rougit, baissa les yeux, mordit sa lèvre
inférieure et sourit avec confusion. Ouadichan se sentit
saisi par quelque vague d'euphorie. A ce moment précis,
Mha Oukousser entra dans la pièce les bras pleins de
bûches de bois. Tassekourt s'est sauvée et Ouadichan,
pour prendre une contenance, dit à Mha :
Iouikhed Azenar n'Ali Outemghart ( j'ai ramené le burnous
de Ali Outemghart). Le brave Mha lui répondit :
M'rehba ich (sois le bienvenu).
Le lendemain de la consultation à Tirghist, Oukeza réveilla
de bonne heure l'équipe médicale. Il leur montra un
spectacle merveilleux : de la fenêtre de la chambre d'hôte
ils voyaient distinctement une douzaine d'oudaden
(mouflons) alignés sur une crête enneigée de Jbel Moaskar.
Le docteur Boufelja était émerveillé, il répétait :
Je suis bien content d'être venu dans cette région,
quelle aventure !
C'était, dans le soleil de ce dimanche, un spectacle
inattendu. Au cours du petit déjeuner, Boufelja, Chakour et
le jeune forestier Boujemaa apprenaient grâce aux
nombreux échanges avec le vieux cavalier beaucoup de
choses sur ce bovidé.
C'était un émouvant plaidoyer qu'ils avaient entendu. Le
sympathique Oukeza, leur raconta que :
dans les oueds aujourd'hui presque à sec, on pouvait
naguère voir des troupeaux entiers d'oudaden. Quand il
faisait très chaud, toute la journée sur les crêtes, ils
descendaient boire tranquillement sans être dérangés.
Et il ajouta en soupirant que dans les vallées et les cimes
de nos montagnes, abondaient il y a encore quelques
décennies, mouflons, perdrix, lièvres, palombes,
chacals, sangliers et renards.
Le jeune forestier intervint :
Je crois qu'à cause de la pression humaine, de la chasse
et du braconnage abusifs, de la déforestation dévastatrice
et également à cause de la sécheresse chronique,
de nombreuses espèces de la faune de nos forêts
deviennent de plus en plus rares.
Aandek l'haq assi bouaari (c'est vrai ce que tu dis là,
Mr le forestier), répondit Oukeza à son chef, en ajoutant
que le gibier de l'Atlas a été massacré en grande partie
par Tahiyaht (ratissage abusif), même moi, j'avais à mainte
reprises participé à Tihiyahin : les jeunes robustes de
Taqbilt (la tribu) étaient poussés généralement par les
autorités locales à courir et à crier à tue tête dans les
forêts, les vallées, et dans tous les retranchements du
gibier pour le ramener aux pièges des tireurs venus
des grandes villes.
Ouadichan n'avait pas participé à cette passionnante
discussion. Il était resté dans son lit. Il a été toute la
nuit en proie à quelques cauchemars. Il voyait dans ses
mauvais rêves sa bien aimée Tassekourt avec sa
Takidourt multicolore des grands jours montée en croupe
tantôt sur Oukaamoun derrière le garde forestier, tantôt
sur le mulet derrière Mha Oukousser. Il s'éveillait,
s'endormait et se retournait toute la nuit. Les deux
soupirants du mauvais rêve Boujemaa et Mha Oukousser
ne le laissait pas en paix au point qu'il s'était mis à les
redouter autant qu'il redoutait les autres obstacles qui le
séparait de son amour : son épouse Souad et le manque
d'argent. Toute la nuit il se posait la question :
Est-ce que Tassekourtinou est devenue une cause
désespérée ? Le coeur du pauvre Ouadichan brûlait
entre amour et souffrance. Le doute et la jalousie rongeaient
Ouadichan qui avait pris son mauvais rêve pour une
réalité. Toute la matinée, il voulait aller élucider l'affaire
avec son premier rival "Boujemaa", mais il n'osait pas.
Peur du ridicule ou peur de la vérité ?
A un certain moment son âme désespérée aspirait à la
paix. Il décida alors d'affronter ce péril face à face.
Il murmura "advienne que pourra". Il se dirigea ver le
bureau du garde forestier, ouvrit la porte et lança un
bonsoir auquel Boujemaa répondit, il s'assit à ses côtés
et déclara sans préambule avec son accent du terroir :
Ouach kataaref Tassekourt ? (est-ce que tu connais
Tassekourt ?)
Le jeune forestier qui venait d'apprendre les noms du
gibier en berbère lui répondit :
Tassekourt, hiya l'hajla (Tassekourt, c'est la perdrix)
Awa machi tassekourt dial aari (je ne parle pas de
tassekourt des forêts, je te parle de la fille qui vit chez
Aicha Bassou).
Boujemaa hésita un instant :
Et pourquoi cette question ?
Ouadichan détourna les yeux comme s'il craignait que
Boujemaa devine ses griefs et dit avec indifférence
Simple question
Boujemaa, qui a deviné le pourquoi de la question, répondit :
Eh bien tranquilise toi, je ne connais pas cette fille. Tu
n'as rien à craindre de moi.
Ouadichan avait envie de lui prendre la main pour lui
dire merci, feignit l'indifférence, sourit comme si de rien
n'était.
Chakour qui était assis sur une souche près de la fenêtre
du bureau avait tout entendu, il réprima un fou rire.
de bonne heure l'équipe médicale. Il leur montra un
spectacle merveilleux : de la fenêtre de la chambre d'hôte
ils voyaient distinctement une douzaine d'oudaden
(mouflons) alignés sur une crête enneigée de Jbel Moaskar.
Le docteur Boufelja était émerveillé, il répétait :
Je suis bien content d'être venu dans cette région,
quelle aventure !
C'était, dans le soleil de ce dimanche, un spectacle
inattendu. Au cours du petit déjeuner, Boufelja, Chakour et
le jeune forestier Boujemaa apprenaient grâce aux
nombreux échanges avec le vieux cavalier beaucoup de
choses sur ce bovidé.
C'était un émouvant plaidoyer qu'ils avaient entendu. Le
sympathique Oukeza, leur raconta que :
dans les oueds aujourd'hui presque à sec, on pouvait
naguère voir des troupeaux entiers d'oudaden. Quand il
faisait très chaud, toute la journée sur les crêtes, ils
descendaient boire tranquillement sans être dérangés.
Et il ajouta en soupirant que dans les vallées et les cimes
de nos montagnes, abondaient il y a encore quelques
décennies, mouflons, perdrix, lièvres, palombes,
chacals, sangliers et renards.
Le jeune forestier intervint :
Je crois qu'à cause de la pression humaine, de la chasse
et du braconnage abusifs, de la déforestation dévastatrice
et également à cause de la sécheresse chronique,
de nombreuses espèces de la faune de nos forêts
deviennent de plus en plus rares.
Aandek l'haq assi bouaari (c'est vrai ce que tu dis là,
Mr le forestier), répondit Oukeza à son chef, en ajoutant
que le gibier de l'Atlas a été massacré en grande partie
par Tahiyaht (ratissage abusif), même moi, j'avais à mainte
reprises participé à Tihiyahin : les jeunes robustes de
Taqbilt (la tribu) étaient poussés généralement par les
autorités locales à courir et à crier à tue tête dans les
forêts, les vallées, et dans tous les retranchements du
gibier pour le ramener aux pièges des tireurs venus
des grandes villes.
Ouadichan n'avait pas participé à cette passionnante
discussion. Il était resté dans son lit. Il a été toute la
nuit en proie à quelques cauchemars. Il voyait dans ses
mauvais rêves sa bien aimée Tassekourt avec sa
Takidourt multicolore des grands jours montée en croupe
tantôt sur Oukaamoun derrière le garde forestier, tantôt
sur le mulet derrière Mha Oukousser. Il s'éveillait,
s'endormait et se retournait toute la nuit. Les deux
soupirants du mauvais rêve Boujemaa et Mha Oukousser
ne le laissait pas en paix au point qu'il s'était mis à les
redouter autant qu'il redoutait les autres obstacles qui le
séparait de son amour : son épouse Souad et le manque
d'argent. Toute la nuit il se posait la question :
Est-ce que Tassekourtinou est devenue une cause
désespérée ? Le coeur du pauvre Ouadichan brûlait
entre amour et souffrance. Le doute et la jalousie rongeaient
Ouadichan qui avait pris son mauvais rêve pour une
réalité. Toute la matinée, il voulait aller élucider l'affaire
avec son premier rival "Boujemaa", mais il n'osait pas.
Peur du ridicule ou peur de la vérité ?
A un certain moment son âme désespérée aspirait à la
paix. Il décida alors d'affronter ce péril face à face.
Il murmura "advienne que pourra". Il se dirigea ver le
bureau du garde forestier, ouvrit la porte et lança un
bonsoir auquel Boujemaa répondit, il s'assit à ses côtés
et déclara sans préambule avec son accent du terroir :
Ouach kataaref Tassekourt ? (est-ce que tu connais
Tassekourt ?)
Le jeune forestier qui venait d'apprendre les noms du
gibier en berbère lui répondit :
Tassekourt, hiya l'hajla (Tassekourt, c'est la perdrix)
Awa machi tassekourt dial aari (je ne parle pas de
tassekourt des forêts, je te parle de la fille qui vit chez
Aicha Bassou).
Boujemaa hésita un instant :
Et pourquoi cette question ?
Ouadichan détourna les yeux comme s'il craignait que
Boujemaa devine ses griefs et dit avec indifférence
Simple question
Boujemaa, qui a deviné le pourquoi de la question, répondit :
Eh bien tranquilise toi, je ne connais pas cette fille. Tu
n'as rien à craindre de moi.
Ouadichan avait envie de lui prendre la main pour lui
dire merci, feignit l'indifférence, sourit comme si de rien
n'était.
Chakour qui était assis sur une souche près de la fenêtre
du bureau avait tout entendu, il réprima un fou rire.
Ouadichane prit congé de ses amis et disparut derrière le
saule pleureur et les grands noyers encadrant la maison
du garde forestier. Il y avait un soleil clairet mais la bise
à ces hauteurs mordillait le nez, les joues et les oreilles.
Il se dirigea vers Tighermine. Il parlait les mains dans les
poches se parlant dans la tête.
Tant de choses se bousculaient dans son esprit, échauffaient
son cerveau. Arrivé au sommet de la colline, il s'assit un
moment pour souffler un peu. Le village se découvrait à
sa vue, il voyait au dessus des toits des maisons, couleur
de terre, de la fumée qui sortait de tous les almessis
(fourneaux), dessinant des fins volutes. Les tourbillons
n'wagou (fumée) montant de la maison de Aicha Bassou
rendaient son regard tendre et doux. Il savait qu'en ce
moment sa bien aimée se chauffait devant un pétillant
feu de bois, et discutant avec les siens.
Ouadichane aimait ce logis simple où vivait Tassekourt,
il sentait qu'il était l'écrin de Taqayt (la perle) convoitée.
Il chérissait tous les occupants de cet Ighrem, la brave
Aicha Bassou, le sage Moha Ou N'Barch, Ali Outemghart,
son épouse et leurs enfants, il chérissait les pièces et
les meubles simples, et même les animaux, le mulet,
la vache et son veau, l'ânesse et son ânon. Il aimait
particulièrement le chien Meksaou et même le bouc que
Aicha Bassou engraissait pour le baptême de sa voisine
Takrirout... Il aimait toute la maisonnée sauf Mha Oukousser,
que le mauvais rêve de la veille avait fait sortir de son coeur.
Il voyait désormais dans ce jeune gaillard, robuste et
travailleur qui habite sous le même toit que son amour,
un véritable rival. Il était comme sur des braises, le poison
de la jalousie rongeait son âme.
Pendant ce temps, assises près d'almessi, Rabha,
Tassekourt et Hajjou cardaient la laine. Elles travaillaient
en causant. Posée entre elles, sur le sol, une peau de
mouton recueillait la laine cardée. La laine lavée à l'eau
n'Oughbalou, démêlée à l'aide n'Imechden (brosse à
pointes de fer longues) et cardée à l'aide de n'Iqerchal
(brosse à pointes de fer fines).
Le jour commençait à tomber, il n'y avait guère de soleil
que dans la cour. C'était l'heure de la rentrée de la vache,
Rabha s'apprêtait à la traire et à préparer le diner.
Restée seule, un peu gênée et un peu hésitante, Hajjou
dit à sa cousine :
J'ai quelque chose à te dire.
A propos de quoi ?
A propos d'Ouadichan
Tassekourt rougit
Qu'est-ce qu'il a Ouadichan ?
Je crois que ces va et vient réguliers chez nous, depuis
qu'il est là, ont un autre but que celui qu'il prétendait.
Explique-toi, demanda Tassekourt
J'ai la ferme conviction qu'il ne vient pas pour l'quissat
(histoires) n'Ammi Moha.
Et d'après toi pourquoi vient-il alors ?
Mais il vient pour toi Ya Tahiout ! (ma folle)
Tassekourt sourit et lui demande :
Issam Tina ? (c'est lui qui te l'a dit ?)
Il ne m'a rien dit, mais son but est clair, tu n'as qu'à voir
la façon dont il te regarde. Il te dévore des yeux.
Mais tu m'avais dit qu'il est marié
Il avait dit à nana Aicha qu'il comptait divorcer, rien ne
va entre lui et son épouse illiss n'temdint (une citadine)
qui lui rendait la vie difficile.
Maydem tinikh, conclut Tassekourt, our sinkh mey deytnada
Ouadichan (que veux-tu que je te dise, je ne sais pas ce
que cherche Ouadichane).
Dans la rue, Rahou et ses amis profitaient des derniers
moments de la journée à jouer en criant à tue tête.
saule pleureur et les grands noyers encadrant la maison
du garde forestier. Il y avait un soleil clairet mais la bise
à ces hauteurs mordillait le nez, les joues et les oreilles.
Il se dirigea vers Tighermine. Il parlait les mains dans les
poches se parlant dans la tête.
Tant de choses se bousculaient dans son esprit, échauffaient
son cerveau. Arrivé au sommet de la colline, il s'assit un
moment pour souffler un peu. Le village se découvrait à
sa vue, il voyait au dessus des toits des maisons, couleur
de terre, de la fumée qui sortait de tous les almessis
(fourneaux), dessinant des fins volutes. Les tourbillons
n'wagou (fumée) montant de la maison de Aicha Bassou
rendaient son regard tendre et doux. Il savait qu'en ce
moment sa bien aimée se chauffait devant un pétillant
feu de bois, et discutant avec les siens.
Ouadichane aimait ce logis simple où vivait Tassekourt,
il sentait qu'il était l'écrin de Taqayt (la perle) convoitée.
Il chérissait tous les occupants de cet Ighrem, la brave
Aicha Bassou, le sage Moha Ou N'Barch, Ali Outemghart,
son épouse et leurs enfants, il chérissait les pièces et
les meubles simples, et même les animaux, le mulet,
la vache et son veau, l'ânesse et son ânon. Il aimait
particulièrement le chien Meksaou et même le bouc que
Aicha Bassou engraissait pour le baptême de sa voisine
Takrirout... Il aimait toute la maisonnée sauf Mha Oukousser,
que le mauvais rêve de la veille avait fait sortir de son coeur.
Il voyait désormais dans ce jeune gaillard, robuste et
travailleur qui habite sous le même toit que son amour,
un véritable rival. Il était comme sur des braises, le poison
de la jalousie rongeait son âme.
Pendant ce temps, assises près d'almessi, Rabha,
Tassekourt et Hajjou cardaient la laine. Elles travaillaient
en causant. Posée entre elles, sur le sol, une peau de
mouton recueillait la laine cardée. La laine lavée à l'eau
n'Oughbalou, démêlée à l'aide n'Imechden (brosse à
pointes de fer longues) et cardée à l'aide de n'Iqerchal
(brosse à pointes de fer fines).
Le jour commençait à tomber, il n'y avait guère de soleil
que dans la cour. C'était l'heure de la rentrée de la vache,
Rabha s'apprêtait à la traire et à préparer le diner.
Restée seule, un peu gênée et un peu hésitante, Hajjou
dit à sa cousine :
J'ai quelque chose à te dire.
A propos de quoi ?
A propos d'Ouadichan
Tassekourt rougit
Qu'est-ce qu'il a Ouadichan ?
Je crois que ces va et vient réguliers chez nous, depuis
qu'il est là, ont un autre but que celui qu'il prétendait.
Explique-toi, demanda Tassekourt
J'ai la ferme conviction qu'il ne vient pas pour l'quissat
(histoires) n'Ammi Moha.
Et d'après toi pourquoi vient-il alors ?
Mais il vient pour toi Ya Tahiout ! (ma folle)
Tassekourt sourit et lui demande :
Issam Tina ? (c'est lui qui te l'a dit ?)
Il ne m'a rien dit, mais son but est clair, tu n'as qu'à voir
la façon dont il te regarde. Il te dévore des yeux.
Mais tu m'avais dit qu'il est marié
Il avait dit à nana Aicha qu'il comptait divorcer, rien ne
va entre lui et son épouse illiss n'temdint (une citadine)
qui lui rendait la vie difficile.
Maydem tinikh, conclut Tassekourt, our sinkh mey deytnada
Ouadichan (que veux-tu que je te dise, je ne sais pas ce
que cherche Ouadichane).
Dans la rue, Rahou et ses amis profitaient des derniers
moments de la journée à jouer en criant à tue tête.
Ce même dimanche, le soleil commençait à baisser sur
l'horizon. Dans l'Almou (le pré) qui descendait vers le
ruisseau, Said Ounba, un grand ami de Mha Oukousser
paissait le troupeau. Le pâturage n'avait d'herbe fraiche
qu'au plus près de l'eau. Tout le haut du terrain, décoloré
par des mois de sécheresse, offrait l'aspect d'une
Thasir (natte) de doum désséché.
Said Ounba, la trentaine, enturbanné et portant son
burnous de trame rêche ; changeait de temps en temps
son bélier -de race Timahdit- de place. Il lui faisait
manger les meilleures herbes. Le chien Rabbah, surveillait
les brebis. Elles étaient agglutinées sous les branches
d'un grand chêne.
Pendant ce temps Ouadichane dévala la pente et
arriva à hauteur du berger. Le chien aboyait :
Tais-toi ! cria Said.
J'espère qu'il ne va pas me mordre ! dit Ouadichane.
Said Ounba qui était dur d'oreilles répondait ;
Oualikoum salam oua rhamatou Allah ! (que le salut
et la miséricorde de Dieu soit sur toi !)
Puis Ouadichane demanda tout à coup.
As-tu vu Mha Oukousser ?
Il devait répéter la question plusieurs fois pour être entendu.
Mha est allé chercher son oncle et son épouse à
Izza Atmane. C'est pour son mariage
Ah bon ! Et c'est avec Taskourt qu'il se marie ? Cria Ouadichane
Il sera là demain. Répondit Said
Pour Ouadichane Mha ne pourrait se marier qu'avec
Tassekourt. Il prenait son rêve d'hier pour une réalité.
Aux réponses de Said Ounba, les paroles s'étranglèrent
dans le gosier d'Ouadichane. Sa pomme d'Adam ne
cessait de monter et de descendre sous sa peau. Il
sentit ses yeux sur le point de déborder de leurs
orbites.
Il quitta les lieux sans se retourner et se dirigea vers
la maison du garde forestier avec les espoirs anéantis.
Le long du sentier il tempêtait et laissait libre cours à
sa colère et à sa haine. Il répétait sans cesse :
La chance s'est trompée d'adresse. C'était à moi que
l'âme de Tassekourt appartenait. Il se sentit soudain
habité d'une fièvre qui le faisait frissonner.
Au paroxysme de sa rage il sentit les larmes couler sur
ses joues. Arrivé dans la chambre d'hôte, il prit de la
trousse médicale du Dr Boufelja un comprimé hypnotique,
l'avala et s'allongea sur son lit où il sombra aussitôt
dans un profond sommeil.
l'horizon. Dans l'Almou (le pré) qui descendait vers le
ruisseau, Said Ounba, un grand ami de Mha Oukousser
paissait le troupeau. Le pâturage n'avait d'herbe fraiche
qu'au plus près de l'eau. Tout le haut du terrain, décoloré
par des mois de sécheresse, offrait l'aspect d'une
Thasir (natte) de doum désséché.
Said Ounba, la trentaine, enturbanné et portant son
burnous de trame rêche ; changeait de temps en temps
son bélier -de race Timahdit- de place. Il lui faisait
manger les meilleures herbes. Le chien Rabbah, surveillait
les brebis. Elles étaient agglutinées sous les branches
d'un grand chêne.
Pendant ce temps Ouadichane dévala la pente et
arriva à hauteur du berger. Le chien aboyait :
Tais-toi ! cria Said.
J'espère qu'il ne va pas me mordre ! dit Ouadichane.
Said Ounba qui était dur d'oreilles répondait ;
Oualikoum salam oua rhamatou Allah ! (que le salut
et la miséricorde de Dieu soit sur toi !)
Puis Ouadichane demanda tout à coup.
As-tu vu Mha Oukousser ?
Il devait répéter la question plusieurs fois pour être entendu.
Mha est allé chercher son oncle et son épouse à
Izza Atmane. C'est pour son mariage
Ah bon ! Et c'est avec Taskourt qu'il se marie ? Cria Ouadichane
Il sera là demain. Répondit Said
Pour Ouadichane Mha ne pourrait se marier qu'avec
Tassekourt. Il prenait son rêve d'hier pour une réalité.
Aux réponses de Said Ounba, les paroles s'étranglèrent
dans le gosier d'Ouadichane. Sa pomme d'Adam ne
cessait de monter et de descendre sous sa peau. Il
sentit ses yeux sur le point de déborder de leurs
orbites.
Il quitta les lieux sans se retourner et se dirigea vers
la maison du garde forestier avec les espoirs anéantis.
Le long du sentier il tempêtait et laissait libre cours à
sa colère et à sa haine. Il répétait sans cesse :
La chance s'est trompée d'adresse. C'était à moi que
l'âme de Tassekourt appartenait. Il se sentit soudain
habité d'une fièvre qui le faisait frissonner.
Au paroxysme de sa rage il sentit les larmes couler sur
ses joues. Arrivé dans la chambre d'hôte, il prit de la
trousse médicale du Dr Boufelja un comprimé hypnotique,
l'avala et s'allongea sur son lit où il sombra aussitôt
dans un profond sommeil.
Au moment où Ouadichane dormait profondément, dans la
maison de Aicha Bassou, Tassekourt et Hajjou discutaient
dans la lueur calme d'une bougie posée sur un verre
Hayati renversé.
Je suis vraiment contente pour toi Hajjou. Félicitations pour
tes fiançailles avec Mha. Que Dieu bénisse votre union et
vous accorde une bonne descendance.
Merci bien, cousine, j'espère te voir heureuse toi aussi, tu
le mérites. Et je demande à Dieu d'éloigner de ta route
ce monstre d'Oubaw.
A l'évocation de ce nom Tassekourt poussa un profond
soupir. Le coeur serré par l'angoisse, elle songeait que
rien, humainement, ne la sauverait de cette union forcée.
Elle se ressaisit rapidement et ne laissa rien apparaître
de ses profonds tourments. Elle continua à parler à
Hajjou de son joyeux évènement
C'est une chance pour toi de te marier avec Mha, un
homme très sérieux, bou ighil (travailleur). Mha s'entend
avec tout le monde, et en plus, il a la même éducation
que toi et vous êtes tous les deux de mentalité semblable.
J'ai l'impression de rêver, murmura Hajjou, en passant sur
son visage, ses belles mains brunes.
Dans Tanessrit (la chambre de l'étage) se déroulait une
autre conversation. Placée entre son fils et sa bru, en
face d'un feu que Rabah venait de relancer, Aicha Bassou
donnait les dernières instructions de la préparation de
la fête de toutra (fiançailles) du lendemain.
En parlant des invités, la vieille femme tourna vers son
fils qui était à sa gauche et entreprit de lui parler
d'Ouadichane.
Quand tu auras convié ton ami Oukezza, n'oublies pas
d'inviter le jeune infirmier Ouadichane. Elle rappela à
Ali que les Ait Ouadichane sont des gens biens et que
dans le passé leur famille avait fait allégeance à la
tribu des Ait Bassou.
Nous sommes leurs imssighen (protecteurs). Et elle
ajouta qu'elle trouvait leur fils brave mais trop timide.
Je suis tout à fait d'accord avec toi, répondit Ali.
Toute la maisonnée est au courant de son intérêt pour
Tassekourt continua Aicha Bassou, mais j'ignore ses
véritables intentions. Si tu le veux bien, Ali, sonde le
demain pour savoir ce qu'il veut au juste. Tires lui les
vers du nez.
Ouakha (d'accord), répondit Ali.
Rabha, la tante de Tassekourt, remercia sa belle mère.
Dieu vous bénisse pour votre grandeur d'âme et votre
coeur. Ma nièce, la pauvre, a grand besoin de notre aide.
Et elle continua : il me semble que je serai au paradis si
la chose s'arrangeait.
Il est tard, et il nous faut dormir, nous aurons beaucoup
à faire demain, conclua la vieille femme.
Rabha, comme elle tenait à le faire chaque soir, se
rendit dans la cuisine pour s'assurer que les braises
étaient bien recouvertes des cendres dans l'almessi
(l'âtre), cela lui facilitera la tâche le lendemain.
maison de Aicha Bassou, Tassekourt et Hajjou discutaient
dans la lueur calme d'une bougie posée sur un verre
Hayati renversé.
Je suis vraiment contente pour toi Hajjou. Félicitations pour
tes fiançailles avec Mha. Que Dieu bénisse votre union et
vous accorde une bonne descendance.
Merci bien, cousine, j'espère te voir heureuse toi aussi, tu
le mérites. Et je demande à Dieu d'éloigner de ta route
ce monstre d'Oubaw.
A l'évocation de ce nom Tassekourt poussa un profond
soupir. Le coeur serré par l'angoisse, elle songeait que
rien, humainement, ne la sauverait de cette union forcée.
Elle se ressaisit rapidement et ne laissa rien apparaître
de ses profonds tourments. Elle continua à parler à
Hajjou de son joyeux évènement
C'est une chance pour toi de te marier avec Mha, un
homme très sérieux, bou ighil (travailleur). Mha s'entend
avec tout le monde, et en plus, il a la même éducation
que toi et vous êtes tous les deux de mentalité semblable.
J'ai l'impression de rêver, murmura Hajjou, en passant sur
son visage, ses belles mains brunes.
Dans Tanessrit (la chambre de l'étage) se déroulait une
autre conversation. Placée entre son fils et sa bru, en
face d'un feu que Rabah venait de relancer, Aicha Bassou
donnait les dernières instructions de la préparation de
la fête de toutra (fiançailles) du lendemain.
En parlant des invités, la vieille femme tourna vers son
fils qui était à sa gauche et entreprit de lui parler
d'Ouadichane.
Quand tu auras convié ton ami Oukezza, n'oublies pas
d'inviter le jeune infirmier Ouadichane. Elle rappela à
Ali que les Ait Ouadichane sont des gens biens et que
dans le passé leur famille avait fait allégeance à la
tribu des Ait Bassou.
Nous sommes leurs imssighen (protecteurs). Et elle
ajouta qu'elle trouvait leur fils brave mais trop timide.
Je suis tout à fait d'accord avec toi, répondit Ali.
Toute la maisonnée est au courant de son intérêt pour
Tassekourt continua Aicha Bassou, mais j'ignore ses
véritables intentions. Si tu le veux bien, Ali, sonde le
demain pour savoir ce qu'il veut au juste. Tires lui les
vers du nez.
Ouakha (d'accord), répondit Ali.
Rabha, la tante de Tassekourt, remercia sa belle mère.
Dieu vous bénisse pour votre grandeur d'âme et votre
coeur. Ma nièce, la pauvre, a grand besoin de notre aide.
Et elle continua : il me semble que je serai au paradis si
la chose s'arrangeait.
Il est tard, et il nous faut dormir, nous aurons beaucoup
à faire demain, conclua la vieille femme.
Rabha, comme elle tenait à le faire chaque soir, se
rendit dans la cuisine pour s'assurer que les braises
étaient bien recouvertes des cendres dans l'almessi
(l'âtre), cela lui facilitera la tâche le lendemain.
Le lendemain, vers dix heures du matin, deux Ihdadin
(mulets gris), montés respectivement par Mha Oukousser
et son oncle avec son épouse, l'enfant sur le dos, en
croupe s'avancèrent de leurs pas secs jusqu'à la maison
de Aicha Bassou.
Aicha et son fils qui étaient sur le pas de la porte
échangèrent avec les arrivants les formules spécifiques
à Toutra (fiançailles), ainsi que le voulait la tradition. Ils se
saluèrent à la façon des Ait Yahya, en se baisant les mains
et le dessus des têtes.
Des airs joyeux accueillirent le fiancé et sa famille dès
qu'ils eurent pénétré dans la cour. Les youyous de
Tassekourt et les amies de Hajjou rivalisaient d'entrain.
Mha, dans ses beaux habits de circonstance, arborait
un large sourire, il se sentit tout à coup un autre homme.
De simple ouvrier à tout faire, il deviendra sous peu le
gendre de Ali Outamaghart, le fils de Aicha Bassou.
Moulana (Dieu) est grand, il ne l'a pas oublié, se disait-il
intérieurement. Son bonheur n'eut plus de bornes.
Dans la chaleur de la cuisine flottaient de riches odeurs,
de tagine, de couscous, de bouchiar (pain fin) et de thé
à l'absinthe. Aicha Bassou éprouva tout à coup une
merveilleuse impression de plénitude, de vanité et de
joie. Toutes les femmes qui l'aidaient étaient siennes.
Elle partageaient avec elles toutes sortes de sentiments
et de souvenirs. Elles formaient sa famille, elles
appartenaient à son Ighess (groupe).
Après avoir installé ses invités, Ali Outamghart mis ses
beaux habits et sortit pour inviter ses amis. Et comme
convenu, il ne devait pas oublier Ouadichan qu'il alla
chercher à la maison du garde forestier. Ouadichan
n'avait pas cru ses oreilles quand il fût invité au diner
de fiançailles de Mha et Hajjou.
S'adressant à Ali, il dit :
Meyda tinit ? (qu'est-ce que tu dis ?), c'est Hajjou qui se
marie avec Mha ?
La surprise était telle qu'Ouadichane ne parvint qu'à
balbutier des banalités. Il ne pouvait dissimuler son
trouble. Il resta un bon moment muet avec la pomme
d'Adam figée sous la peau.
Et puis, il se répéta à lui même :
Moulana est grand, alhamdoullilah (louange à Dieu)
Il remercia Sidi Rabbi (Dieu) et le saint Sidi Amer Ouhelli
avec ferveur, du bonheur que la nouvelle d'Ali Outamghart
lui avait procuré.
Ses sentiments blessés étaient maintenant guéris. Il
se retourna vers Ali auquel il donna quelques bourrades
dans le dos tout en le félicitant à haute voix.
Oua mabouk ya Ali ! mabrouk ya sidi (félicitations !)
Il mit sa veste et sa casquette et sortit avec Ali, qui,
lui demanda de l'accompagner à Tighermine. Les deux
hommes se mirent en route, ils traversèrent la petite
forêt en n'échangeant que peu de paroles. Ils étaient
arrivés à l'Aghbalou d'où l'on voyait le village de
Tighermine noyé dans une merveilleuse brume
automnale et d'où l'on entendait le Muezzine appelant,
avec son accent berbère, à la prière d'Al Asr.
(mulets gris), montés respectivement par Mha Oukousser
et son oncle avec son épouse, l'enfant sur le dos, en
croupe s'avancèrent de leurs pas secs jusqu'à la maison
de Aicha Bassou.
Aicha et son fils qui étaient sur le pas de la porte
échangèrent avec les arrivants les formules spécifiques
à Toutra (fiançailles), ainsi que le voulait la tradition. Ils se
saluèrent à la façon des Ait Yahya, en se baisant les mains
et le dessus des têtes.
Des airs joyeux accueillirent le fiancé et sa famille dès
qu'ils eurent pénétré dans la cour. Les youyous de
Tassekourt et les amies de Hajjou rivalisaient d'entrain.
Mha, dans ses beaux habits de circonstance, arborait
un large sourire, il se sentit tout à coup un autre homme.
De simple ouvrier à tout faire, il deviendra sous peu le
gendre de Ali Outamaghart, le fils de Aicha Bassou.
Moulana (Dieu) est grand, il ne l'a pas oublié, se disait-il
intérieurement. Son bonheur n'eut plus de bornes.
Dans la chaleur de la cuisine flottaient de riches odeurs,
de tagine, de couscous, de bouchiar (pain fin) et de thé
à l'absinthe. Aicha Bassou éprouva tout à coup une
merveilleuse impression de plénitude, de vanité et de
joie. Toutes les femmes qui l'aidaient étaient siennes.
Elle partageaient avec elles toutes sortes de sentiments
et de souvenirs. Elles formaient sa famille, elles
appartenaient à son Ighess (groupe).
Après avoir installé ses invités, Ali Outamghart mis ses
beaux habits et sortit pour inviter ses amis. Et comme
convenu, il ne devait pas oublier Ouadichan qu'il alla
chercher à la maison du garde forestier. Ouadichan
n'avait pas cru ses oreilles quand il fût invité au diner
de fiançailles de Mha et Hajjou.
S'adressant à Ali, il dit :
Meyda tinit ? (qu'est-ce que tu dis ?), c'est Hajjou qui se
marie avec Mha ?
La surprise était telle qu'Ouadichane ne parvint qu'à
balbutier des banalités. Il ne pouvait dissimuler son
trouble. Il resta un bon moment muet avec la pomme
d'Adam figée sous la peau.
Et puis, il se répéta à lui même :
Moulana est grand, alhamdoullilah (louange à Dieu)
Il remercia Sidi Rabbi (Dieu) et le saint Sidi Amer Ouhelli
avec ferveur, du bonheur que la nouvelle d'Ali Outamghart
lui avait procuré.
Ses sentiments blessés étaient maintenant guéris. Il
se retourna vers Ali auquel il donna quelques bourrades
dans le dos tout en le félicitant à haute voix.
Oua mabouk ya Ali ! mabrouk ya sidi (félicitations !)
Il mit sa veste et sa casquette et sortit avec Ali, qui,
lui demanda de l'accompagner à Tighermine. Les deux
hommes se mirent en route, ils traversèrent la petite
forêt en n'échangeant que peu de paroles. Ils étaient
arrivés à l'Aghbalou d'où l'on voyait le village de
Tighermine noyé dans une merveilleuse brume
automnale et d'où l'on entendait le Muezzine appelant,
avec son accent berbère, à la prière d'Al Asr.
Les deux hommes s'assirent sur une grosse racine
saillante de deux chênes jumeaux. Ali Outamghart
entama la discussion.
Je sais que ce n'est normalement pas d'usage de
questionner les invités, mais, si tu veux, j'ai besoin
d'un entretien sérieux avec toi.
Sans aucun problème, murmura Ouadichane.
Voilà, ma mère, mon épouse et moi-même aimerions
beaucoup savoir à quoi nous en sommes avec toi à
propos de la jeune fille Tassekourt. Et il ajouta, cette
fille est la nièce de ma femme. Elle a fugué chez nous
depuis maintenant plusieurs jours. Elle est par
conséquent sous notre protection.
Ouadichane rougit, sa pomme d'Adam fit une seule
montée et une descente sous la peau, et, après avoir
hésiter répondit :
Eh bien, Ali, j'aime cette fille de tout mon coeur. Je l'ai
aimée depuis le premier jour où je l'ai vue chez vous. Et
mon intention est bonne, je compte, après avoir
assaini certains obstacles, demander sa main et en
faire mon épouse In'Chaallah (si Dieu le veut)
Il continua :
et sans indiscrétion, puis-je savoir pour quelle raison
Tassekourt a fui la maison de ses parents ?
C'est pour éviter le mariage que son père lui imposait
avec un homme âgé, un richard de la région, quelqu'un
qui a parait-il, le vice dans la peau, un certain Oubaw.
Ce nom paraissait crisper Ouadichane, comme s'il
mordait un piment enragé, il ne put retenir un Yalatif
(mon Dieu), Oubaw ! l'guens iharane ayna (c'est la
mauvaise graine).
Tu le connais ?
Et comment ! Il est de mon bourg. Oubaw est, sans aucun
doute, l'homme le plus puissant, le plus orgueilleux de
tous les habitants de Taghzout. Il s'était engraissé dans
le commerce du bois. Il est alcoolique et débauché.
Ce Zenbil (gros couffin rectangulaire servant à
transporter le fumier) ne compte plus ses mariages et
ses divorces en dépit de tous ses défauts et vices.
Tout en parlant, les gestes d'Ouadichane étaient moins
naturels. Le pauvre était encore en proie à des
sentiments singuliers associant jalousie, angoisse et
pitié pour sa bien-aimée. Il reprit dans sa langue maternelle :
Abaden (jamais!), je ne laisserai pas Tassekourt
tomber dans le piège de cet Aboulkhir (porc).
Ali Outamghart avait tout remarqué. Il dévisageait
Ouadichane avec attention, sans la moindre gêne. Il ne
perdait aucun mouvement de l'infirmier. Il perçut tous
les changements qui s'opéraient sur son visage. Il
conclut intérieurement qu'Ouadichane aimait vraiment
Tassekourt. Et sur un ton apaisé il lui dit :
Il me semble que la catégorie de gens que tu viens de
décrire existe en fait, et que, même hélas ! elle est la
plus nombreuse dans nos contrées.
Le soleil avait perdu de sa bienvaillance de l'après midi.
Un vent sec faisait bouger les longues branches des
deux chênes. Ali Outamghart croisa les deux pans de
son burnous sur sa poitrine et s'adressa à Ouadichane.
Rentrons, il y a le Fquih qui m'attend à la maison pour
l'établissement de l'acte de mariage de ma fille.
saillante de deux chênes jumeaux. Ali Outamghart
entama la discussion.
Je sais que ce n'est normalement pas d'usage de
questionner les invités, mais, si tu veux, j'ai besoin
d'un entretien sérieux avec toi.
Sans aucun problème, murmura Ouadichane.
Voilà, ma mère, mon épouse et moi-même aimerions
beaucoup savoir à quoi nous en sommes avec toi à
propos de la jeune fille Tassekourt. Et il ajouta, cette
fille est la nièce de ma femme. Elle a fugué chez nous
depuis maintenant plusieurs jours. Elle est par
conséquent sous notre protection.
Ouadichane rougit, sa pomme d'Adam fit une seule
montée et une descente sous la peau, et, après avoir
hésiter répondit :
Eh bien, Ali, j'aime cette fille de tout mon coeur. Je l'ai
aimée depuis le premier jour où je l'ai vue chez vous. Et
mon intention est bonne, je compte, après avoir
assaini certains obstacles, demander sa main et en
faire mon épouse In'Chaallah (si Dieu le veut)
Il continua :
et sans indiscrétion, puis-je savoir pour quelle raison
Tassekourt a fui la maison de ses parents ?
C'est pour éviter le mariage que son père lui imposait
avec un homme âgé, un richard de la région, quelqu'un
qui a parait-il, le vice dans la peau, un certain Oubaw.
Ce nom paraissait crisper Ouadichane, comme s'il
mordait un piment enragé, il ne put retenir un Yalatif
(mon Dieu), Oubaw ! l'guens iharane ayna (c'est la
mauvaise graine).
Tu le connais ?
Et comment ! Il est de mon bourg. Oubaw est, sans aucun
doute, l'homme le plus puissant, le plus orgueilleux de
tous les habitants de Taghzout. Il s'était engraissé dans
le commerce du bois. Il est alcoolique et débauché.
Ce Zenbil (gros couffin rectangulaire servant à
transporter le fumier) ne compte plus ses mariages et
ses divorces en dépit de tous ses défauts et vices.
Tout en parlant, les gestes d'Ouadichane étaient moins
naturels. Le pauvre était encore en proie à des
sentiments singuliers associant jalousie, angoisse et
pitié pour sa bien-aimée. Il reprit dans sa langue maternelle :
Abaden (jamais!), je ne laisserai pas Tassekourt
tomber dans le piège de cet Aboulkhir (porc).
Ali Outamghart avait tout remarqué. Il dévisageait
Ouadichane avec attention, sans la moindre gêne. Il ne
perdait aucun mouvement de l'infirmier. Il perçut tous
les changements qui s'opéraient sur son visage. Il
conclut intérieurement qu'Ouadichane aimait vraiment
Tassekourt. Et sur un ton apaisé il lui dit :
Il me semble que la catégorie de gens que tu viens de
décrire existe en fait, et que, même hélas ! elle est la
plus nombreuse dans nos contrées.
Le soleil avait perdu de sa bienvaillance de l'après midi.
Un vent sec faisait bouger les longues branches des
deux chênes. Ali Outamghart croisa les deux pans de
son burnous sur sa poitrine et s'adressa à Ouadichane.
Rentrons, il y a le Fquih qui m'attend à la maison pour
l'établissement de l'acte de mariage de ma fille.
En se rendant vers la maison, Ouadichane était parcouru
d'ondes de joie et de bonheur. Un peu après la prière
d'Al Asr, l'acte du mariage fût établi par le Fquih du
village, en présence de quelques notables et des
membres de la famille. Toute sa vie Ouadichane devait
garder la reconnaissance à Ali Outamghart pour
l'honneur qu'il lui avait fait en le faisant participer à
cette cérémonie familiale.
L'ambiance dans la grande salle était cordiale. Ouadichane
avait sympathisé avec le Fquith, un Fquith "light" sans
barbe, toujours souriant. Il était très apprécié par les
Ait Tigharmin pour sa tolérance, sa conduite complaisante
et ses hadiths (prêche) apaisants. Il était de la région
et avait appris son savoir à la Zaouia de Sidi Yahya
Ou Youssef, le premier pôle religieux de la haute
moulouia orientale.
Juste après la rédaction de l'acte, les youyous des
femmes déchirèrent l'épais silence de Tigharmin. Sous
l'Assequif (sorte de préau), les jeunes femmes dansaient
l'Ahidous des Ait Yahya et chantaient les Izlanes en
vogue dans la région. Taoudouhant, l'épouse de
Rahou Oussouker, menait la danse. La cinquantaine
passée, Taoudouhant était une femme obèse, elle
avait les yeux jeunes et étincelants, et, dans chaque
côté de la bouche, quand elle chantait, brillait une dent
en or. Son dernier fils de deux ans sur le dos ne la
gênait pas. Elle maniait Talount (tambour) avec une
dextérité professionnelle. Taoudouhant faisait partie
de ces femmes aimables, gardiennes des chants et de
la poésie locale. Rahou Oukousser officiait le thé
dans la salle où se tenaient les hommes, et chaque
fois que son épouse changeait d'Izlane, avec sa
voix frisant la raucité, il souriait et inclinait sa
Tarezt (turban) avec fierté et même un peu de vanité.
Ouadichan, lui, était assis exprès près de la minuscule
fenêtre qui se fermait par un volet à bois. Il n'avait d'yeux
que pour ce qui se passait sous l'Assequif. Son coeur
s'était mis à battre violemment quand il avait remarqué
sa bien aimée parmi les danseuses.
Un certain moment, Tassekourt avec son joli Atefas
multicolore (caftan) se mit à danser avec une autre
jeune fille au centre d'Ahidous. Elle avait le démon de
la danse. Elle frémissait son tronc et ses épaules,
remuait ses hanches et ondulait son ventre avec une
aisance et une élégance extraordinaires. A la voir
ainsi Ouadichane était aux anges. Il sentit son sang
cogner dans toutes ses veines.
Tassekourt avait été le clou, presque le délire de la
soirée. Elle avait été rappelé par les encouragements
des femmes présentes, et évoluait plusieurs fois, sur
un tapis rouge grenat, d'un coin à l'autre de l'Assequif.
Taskourt, enchanta une fois de plus Aicha Bassou, qui
lui trouvait un air des Ait Bassou, et même une certaine
ressemblance à la jeune fille qu'elle avait été jadis.
d'ondes de joie et de bonheur. Un peu après la prière
d'Al Asr, l'acte du mariage fût établi par le Fquih du
village, en présence de quelques notables et des
membres de la famille. Toute sa vie Ouadichane devait
garder la reconnaissance à Ali Outamghart pour
l'honneur qu'il lui avait fait en le faisant participer à
cette cérémonie familiale.
L'ambiance dans la grande salle était cordiale. Ouadichane
avait sympathisé avec le Fquith, un Fquith "light" sans
barbe, toujours souriant. Il était très apprécié par les
Ait Tigharmin pour sa tolérance, sa conduite complaisante
et ses hadiths (prêche) apaisants. Il était de la région
et avait appris son savoir à la Zaouia de Sidi Yahya
Ou Youssef, le premier pôle religieux de la haute
moulouia orientale.
Juste après la rédaction de l'acte, les youyous des
femmes déchirèrent l'épais silence de Tigharmin. Sous
l'Assequif (sorte de préau), les jeunes femmes dansaient
l'Ahidous des Ait Yahya et chantaient les Izlanes en
vogue dans la région. Taoudouhant, l'épouse de
Rahou Oussouker, menait la danse. La cinquantaine
passée, Taoudouhant était une femme obèse, elle
avait les yeux jeunes et étincelants, et, dans chaque
côté de la bouche, quand elle chantait, brillait une dent
en or. Son dernier fils de deux ans sur le dos ne la
gênait pas. Elle maniait Talount (tambour) avec une
dextérité professionnelle. Taoudouhant faisait partie
de ces femmes aimables, gardiennes des chants et de
la poésie locale. Rahou Oukousser officiait le thé
dans la salle où se tenaient les hommes, et chaque
fois que son épouse changeait d'Izlane, avec sa
voix frisant la raucité, il souriait et inclinait sa
Tarezt (turban) avec fierté et même un peu de vanité.
Ouadichan, lui, était assis exprès près de la minuscule
fenêtre qui se fermait par un volet à bois. Il n'avait d'yeux
que pour ce qui se passait sous l'Assequif. Son coeur
s'était mis à battre violemment quand il avait remarqué
sa bien aimée parmi les danseuses.
Un certain moment, Tassekourt avec son joli Atefas
multicolore (caftan) se mit à danser avec une autre
jeune fille au centre d'Ahidous. Elle avait le démon de
la danse. Elle frémissait son tronc et ses épaules,
remuait ses hanches et ondulait son ventre avec une
aisance et une élégance extraordinaires. A la voir
ainsi Ouadichane était aux anges. Il sentit son sang
cogner dans toutes ses veines.
Tassekourt avait été le clou, presque le délire de la
soirée. Elle avait été rappelé par les encouragements
des femmes présentes, et évoluait plusieurs fois, sur
un tapis rouge grenat, d'un coin à l'autre de l'Assequif.
Taskourt, enchanta une fois de plus Aicha Bassou, qui
lui trouvait un air des Ait Bassou, et même une certaine
ressemblance à la jeune fille qu'elle avait été jadis.
Cette après midi les visites à la maison de Aicha Bassou
ne cessaient pas. Il y avait toutes les amies de Aicha,
celles de Rabha, de Hajjou, les voisines et d'autres encore,
et même souvent des femmes et des jeunes filles avec
lesquelles les Ait Bassou n'avaient presque pas de
relations. Elles venaient tout simplement par curiosité.
L'Ahidous, comme la mort, à Tighermine, aplanissaient
tout. Il faisaient oublier toutes les petites chicanes.
Takrirout, la grande amie de la famille ne pouvait
malheureusement pas assister aux fiançailles de Hajjou.
Elle avait accouché il y a quelques jours et elle observait
avec son nouveau né la retraite obligatoire des
quarante jours. Période magique, pendant laquelle elle
ne pouvait voir une autre accouchée du même mois
qu'elle. Dans l'esprit des berbères de l'Atlas, les
accouchées de la même lune ne doivent pas se voir.
Leur rencontre pourrait nuire à la santé d'un bébé au
profit de l'autre.
Au moment où les ténèbres commençaient à atteindre
le préau, Tahoudouhant, Tassekourt et les autres
danseuses entrèrent dans la cuisine et s'assirent autour
du feu près des femmes qui préparaient le dîner.
Elles étaient fatiguées.Rabha leur offrit du thé à
l'absinthe et du Bouchiar.
Tahoudouant, essouflée, donnait son sein généreux à
son enfant de deux ans. Cet allaitement prolongé
possédait à ses yeux le mérite de conserver intact,
entre elle et son nourrisson, des liens affectifs
appréciables. Tahoudouant aimait allaiter. Aussi
voyait-elle chaque fois avec mélancolie le terme des
allaitements.
Tassekourt et Hajjou liaient d'emblée amitié avec cette
femme qu'elle trouvaient sympathique et bonne vivante.
Dans la cour jouait une foule de gamins dont Rahou et
Talebicht. La porte de la maison restait grande ouverte
ainsi que la grande salle où allaient dîner les hommes.
Après la tombée de la nuit, les invités de Ali Outamghart
et de Mha Oukousser, une douzaine, se trouvaient dans
la mosquée sans ménaret du village. Ils gagneraient
comme convenu, la maison de Aicha Bassou après
la prière vespérale. Ouadichane, lui, était resté à la
maison près de Moha Ounbarch .. Le vieil homme lui
parlait de la guerre d'Anefgou. Il l'écoutait, hochait la
tête de temps en temps mais ses pensées étaient
ailleurs. Il savourait avec plaisir les échos des Izlanes
et le rythme de l'Ahidous qui résonnaient encore en lui.
Ce soir, il avait fait " le plein du désir et des sentiments"
comme disait la chanson.
Quelques uns des instants de son mariage avec Souad,
dans la salle de fête de Meknès, rejaillirent à sa mémoire.
Ils lui parurent si ternes que c'était comme s'il ne restait
du mariage avec Souad que son nom. Il se dit
intérieurement : amarg que j'ai pour Tassekourt est
unique, je souhaite que ce désir trouve en moi une
éternelle demeure.
ne cessaient pas. Il y avait toutes les amies de Aicha,
celles de Rabha, de Hajjou, les voisines et d'autres encore,
et même souvent des femmes et des jeunes filles avec
lesquelles les Ait Bassou n'avaient presque pas de
relations. Elles venaient tout simplement par curiosité.
L'Ahidous, comme la mort, à Tighermine, aplanissaient
tout. Il faisaient oublier toutes les petites chicanes.
Takrirout, la grande amie de la famille ne pouvait
malheureusement pas assister aux fiançailles de Hajjou.
Elle avait accouché il y a quelques jours et elle observait
avec son nouveau né la retraite obligatoire des
quarante jours. Période magique, pendant laquelle elle
ne pouvait voir une autre accouchée du même mois
qu'elle. Dans l'esprit des berbères de l'Atlas, les
accouchées de la même lune ne doivent pas se voir.
Leur rencontre pourrait nuire à la santé d'un bébé au
profit de l'autre.
Au moment où les ténèbres commençaient à atteindre
le préau, Tahoudouhant, Tassekourt et les autres
danseuses entrèrent dans la cuisine et s'assirent autour
du feu près des femmes qui préparaient le dîner.
Elles étaient fatiguées.Rabha leur offrit du thé à
l'absinthe et du Bouchiar.
Tahoudouant, essouflée, donnait son sein généreux à
son enfant de deux ans. Cet allaitement prolongé
possédait à ses yeux le mérite de conserver intact,
entre elle et son nourrisson, des liens affectifs
appréciables. Tahoudouant aimait allaiter. Aussi
voyait-elle chaque fois avec mélancolie le terme des
allaitements.
Tassekourt et Hajjou liaient d'emblée amitié avec cette
femme qu'elle trouvaient sympathique et bonne vivante.
Dans la cour jouait une foule de gamins dont Rahou et
Talebicht. La porte de la maison restait grande ouverte
ainsi que la grande salle où allaient dîner les hommes.
Après la tombée de la nuit, les invités de Ali Outamghart
et de Mha Oukousser, une douzaine, se trouvaient dans
la mosquée sans ménaret du village. Ils gagneraient
comme convenu, la maison de Aicha Bassou après
la prière vespérale. Ouadichane, lui, était resté à la
maison près de Moha Ounbarch .. Le vieil homme lui
parlait de la guerre d'Anefgou. Il l'écoutait, hochait la
tête de temps en temps mais ses pensées étaient
ailleurs. Il savourait avec plaisir les échos des Izlanes
et le rythme de l'Ahidous qui résonnaient encore en lui.
Ce soir, il avait fait " le plein du désir et des sentiments"
comme disait la chanson.
Quelques uns des instants de son mariage avec Souad,
dans la salle de fête de Meknès, rejaillirent à sa mémoire.
Ils lui parurent si ternes que c'était comme s'il ne restait
du mariage avec Souad que son nom. Il se dit
intérieurement : amarg que j'ai pour Tassekourt est
unique, je souhaite que ce désir trouve en moi une
éternelle demeure.
Devant la porte, on entendait un grand brouhaha. Les
invités parlaient forts et riaient. Talbicht qui jouait avec
ses amis sous l'Askif, courut vers la cuisine.
You hellou, you hellou ! (mère chérie !), les hommes
arrivent.
Aicha Bassou, s'adressant aux femmes qui étaient
dans la cour ;
Fghat abrid ! kechmat ! (laissez le passage ! entrez !)
Ali Outamghart, suivi de ses invités, se dirigèrent
vers la grande salle. Ils se déchaussèrent sur le pas
de la porte et rangèrent soigneusement leurs babouches.
Il y avait là Oukezza le cavalier du garde forestier,
Oukousser l'oncle de Mha, Mha et son ami le malentendant,
d'autres Ijemaân (conseillers) du patelin et
Bouykhoudan (le rigolo du village). Ils saluèrent
Ouadichan et le vieux Moha Ounbarch et s'assirent
sur le tapis de haute laine rouge grenat.
Dans l'Almessi le grand feu de Taqa (genévrier) volait
parfois en paillettes. Dehors, avec la nuit, le froid
devenait plus piquant. Oukousser, dans sa djellaba et
son turban des grands jours, officiait le thé pendant que
le fquih lisait le coran.
Ali Outamghart distribuait les verres de thé que les
convives dégustaient à petite gorgées en claquant
la langue. L'odeur de l'absinthe, mélangée à celle de
Taqa, embaumait l'atmosphère. Les gens étaient de
bonne humeur, ils discutaient tous à la fois.
On ne pouvait distinguer que les rires et les interjections.
Les relents de Boulfaf (brochettes de foie entourées de
graisse) cuit sur les braises emplissaient la pièce.
Mha faisait tourner les brochettes une à une en
demandant à chacun de tirer un morceau et en répétant :
Nzegh tinch (tire la tienne !)
Après avoir pris le repas, le fquih invite l'assitance à
lire la Fatiha (premier verset du Coran). Après cette
lecture, il bénît la famille des Ait Bassou, les jeunes
fiancés et récita une Daâoua (prière) pour les
enfants morts dans l'épidémie de Bouzougah (rougeole).
Il parlait à voix basse, les paupières demi-closes en
levant les mains au ciel. A chacune de ses prières,
l'assitance répondit en choeur : Amine
A la fin de sa longue Daâoua, il s'était retourné vers
Said Oulhandir, un Ajemaâ qui avait perdu deux de ses
enfants dans cette épidémie, lui prit la main et lui dit :
Dieu reprend les petits, les uns après les autres pour
en faire des Atbirs (colombes) au paradis.
Oulhandir poussa un long soupir avant de répondre :
Ayna ira rebbi ! (que la volonté de Dieu soit faite !)
Le fquih devant dormir tôt pour assurer la prière
d'Al Fajr (l'aube), prit congé.
Après le départ du fquih l'atmosphère se détendit,
Bouykhoudan, n'ayant plus de tabous à transgresser,
retrouva le sourire et raconta des blagues de toutes
sortes et des anecdotes taquines sur les tribus
avoisinantes. Ouadichane, qui était blotti contre le
mur rugueux en pisée, ne suivait pas la discussion, il
pensait à son rival Oubaw, ce grand exploitant forestier,
véreux, qui avait sous sa coupe un grand nombre de
hauts décideurs locaux et qui ne s'arrête devant rien
pour arriver à ses fins. Mais l'idée que Tassekourt,
elle-même, refusait cette union ave Oubaw le
réconfortait.
invités parlaient forts et riaient. Talbicht qui jouait avec
ses amis sous l'Askif, courut vers la cuisine.
You hellou, you hellou ! (mère chérie !), les hommes
arrivent.
Aicha Bassou, s'adressant aux femmes qui étaient
dans la cour ;
Fghat abrid ! kechmat ! (laissez le passage ! entrez !)
Ali Outamghart, suivi de ses invités, se dirigèrent
vers la grande salle. Ils se déchaussèrent sur le pas
de la porte et rangèrent soigneusement leurs babouches.
Il y avait là Oukezza le cavalier du garde forestier,
Oukousser l'oncle de Mha, Mha et son ami le malentendant,
d'autres Ijemaân (conseillers) du patelin et
Bouykhoudan (le rigolo du village). Ils saluèrent
Ouadichan et le vieux Moha Ounbarch et s'assirent
sur le tapis de haute laine rouge grenat.
Dans l'Almessi le grand feu de Taqa (genévrier) volait
parfois en paillettes. Dehors, avec la nuit, le froid
devenait plus piquant. Oukousser, dans sa djellaba et
son turban des grands jours, officiait le thé pendant que
le fquih lisait le coran.
Ali Outamghart distribuait les verres de thé que les
convives dégustaient à petite gorgées en claquant
la langue. L'odeur de l'absinthe, mélangée à celle de
Taqa, embaumait l'atmosphère. Les gens étaient de
bonne humeur, ils discutaient tous à la fois.
On ne pouvait distinguer que les rires et les interjections.
Les relents de Boulfaf (brochettes de foie entourées de
graisse) cuit sur les braises emplissaient la pièce.
Mha faisait tourner les brochettes une à une en
demandant à chacun de tirer un morceau et en répétant :
Nzegh tinch (tire la tienne !)
Après avoir pris le repas, le fquih invite l'assitance à
lire la Fatiha (premier verset du Coran). Après cette
lecture, il bénît la famille des Ait Bassou, les jeunes
fiancés et récita une Daâoua (prière) pour les
enfants morts dans l'épidémie de Bouzougah (rougeole).
Il parlait à voix basse, les paupières demi-closes en
levant les mains au ciel. A chacune de ses prières,
l'assitance répondit en choeur : Amine
A la fin de sa longue Daâoua, il s'était retourné vers
Said Oulhandir, un Ajemaâ qui avait perdu deux de ses
enfants dans cette épidémie, lui prit la main et lui dit :
Dieu reprend les petits, les uns après les autres pour
en faire des Atbirs (colombes) au paradis.
Oulhandir poussa un long soupir avant de répondre :
Ayna ira rebbi ! (que la volonté de Dieu soit faite !)
Le fquih devant dormir tôt pour assurer la prière
d'Al Fajr (l'aube), prit congé.
Après le départ du fquih l'atmosphère se détendit,
Bouykhoudan, n'ayant plus de tabous à transgresser,
retrouva le sourire et raconta des blagues de toutes
sortes et des anecdotes taquines sur les tribus
avoisinantes. Ouadichane, qui était blotti contre le
mur rugueux en pisée, ne suivait pas la discussion, il
pensait à son rival Oubaw, ce grand exploitant forestier,
véreux, qui avait sous sa coupe un grand nombre de
hauts décideurs locaux et qui ne s'arrête devant rien
pour arriver à ses fins. Mais l'idée que Tassekourt,
elle-même, refusait cette union ave Oubaw le
réconfortait.
Tandis que Mha ajoutait des bûches dans le feu, la
conversation allait bon train. Elle était toujours bruyante
et générale. Après les potins et les atroces ragots sur
les absents rapportés par Boulakhouad et Said Afyach, la
discussion reprit, mais cette fois, elle était plus sérieuse.
On parlait du temps qu'il faisait, de cette sécheresse qui
ne voulait plus prendre fin cette année là. Et l'on se
souvenait des temps d'avant, avec les neiges qui
couvraient les portes d'entrées. On parlait également
de la vie de tous les jours au village, du prix du blé, du
bétail et des problèmes d'irrigation ...
Il était dans cette belle soirée question également des
événements plaisants du passé.
Plus rien n'est vrai aujourd'hui, dit le vieux Moha Ounbarch.
Il n'y a plus de sérieux et la baraka s'est envolée, dit
un autre.
Savez vous pourquoi ? intervint Ouben Said.
Oubensaid est un cousin de Aicha Bassou. Il avait son
âge. Tout le monde dans le village louait sa sagesse. Il
faisait partie des hommes sollicités dans l'arbitrage des
litiges et des controverses entre individus et même
tribus. Il buvait son thé en petites gorgées et attendait
le moment d'intervenir en arbitre. Il continua :
Ayarahou ! (messieurs) Notre société se dégrade
continuellement à cause de notre comportement et des
entorses que nous portons à nos traditions. On n'est plus
fidèles aux anciennes exigences de nos aieuls. Et il ajouta :
Mani Tazlaft n'ouguerram ? (où est passé le plat que la
tribu préparait et dédiait chaque année au Saint du village?),
mani aajli l'moussem (où est passé le veau gras que
l'on sacrifiait au festival du Mouloud ?)
Il se retourna vers quelqu'un qui avait son âge et
poursuivit à voix moins haute :
Te souviens tu du Moussem de Sidi Cheikh où toute la
tribu participait à la fête ? Riches et pauvres se réjouissaient
de la même façon. Cela n'était pas désagréable, n'est-ce pas ?
Le sexagénaire hocha de la tête, l'air de dire : " très juste ",
avant d'ajouter :
Chaque année après la moisson la tribu allait requérir la
baraka du Saint. C'étaient des fêtes champêtres où l'on
écoutait Imedyazen et l'on dansait Ahidous.
Après le discours exaltant d'Oubensaid, intervint pour la
première fois dans la soirée Ali Bounnit - un grand travailleur,
qui habitait à la lisière de la forêt de chênes, à quelques
kilomètres du patelin - d'un ton amer il s'adressa à
l'assistance :
Ayaraou, iboulkhir souten lakhdiyt ibatatanou ! (les sangliers
ont impitoyablement saccagé ma pomme de terre),très tôt
ce matin, ils avaient fait une descente ravageuse où ils
avaient détruit, retourné et piétiné des dizaines de plants.
Boulakhouad esquissa un sourire moqueur, lança une
oeillade complice à son ami Afiyach et dit :
Aami Bounnit, les pauvres sangliers viennent seulement
te rappeler que c'est sur leur territoire que tu es installé.
L'assistance s'esclaffa.
Bounnit s'irrita :
Tu vas te taire, oui ?
Oubensaid attendit un instant que s'estompent les rires
soulevés par les paroles de Boulakhouad, et dit, en se
tournant vers le cavalier du garde forestier.
Nous n'allons pas laisser cet animal redoutable et néfaste
continuer à détruire l'agriculture de notre ami Bounnit.
Nous devons, avec l'aval de Bouari (garde forestier),
préparer une battue où l'on traquerait le sanglier jusque
dans ses gites.
Oukezza, tout en roulant sa cigarette de Tadriha, dit :
Je transmettrai à mon supérieur.
Ali Outamghart, profitant du tumulte de la discussion
s'inclina sur Oukezza pour lui dire :
Au fait, comment il est ce nouveau garde forestier ?
Il est consciencieux et incorruptible. Il ajouta en chuchotant :
Boujemaâ a jugé qu'il est temps de limiter les dégâts et
le pillage occasionnés à nos forêts. Il a adressé à ses
supérieurs un rapport accablant les exploitants forestiers
ne respectant pas les lois en vigueur, il comprend une liste
d'une dizaine de personnes, et à sa tête le véreux Oubaw.
Mais j'aimerais bien que ce que je viens de te dire
restera entre nous.
Han aoualench g'anou ! (ton secret restera dans un puits),
conclut Ali Outamghart
conversation allait bon train. Elle était toujours bruyante
et générale. Après les potins et les atroces ragots sur
les absents rapportés par Boulakhouad et Said Afyach, la
discussion reprit, mais cette fois, elle était plus sérieuse.
On parlait du temps qu'il faisait, de cette sécheresse qui
ne voulait plus prendre fin cette année là. Et l'on se
souvenait des temps d'avant, avec les neiges qui
couvraient les portes d'entrées. On parlait également
de la vie de tous les jours au village, du prix du blé, du
bétail et des problèmes d'irrigation ...
Il était dans cette belle soirée question également des
événements plaisants du passé.
Plus rien n'est vrai aujourd'hui, dit le vieux Moha Ounbarch.
Il n'y a plus de sérieux et la baraka s'est envolée, dit
un autre.
Savez vous pourquoi ? intervint Ouben Said.
Oubensaid est un cousin de Aicha Bassou. Il avait son
âge. Tout le monde dans le village louait sa sagesse. Il
faisait partie des hommes sollicités dans l'arbitrage des
litiges et des controverses entre individus et même
tribus. Il buvait son thé en petites gorgées et attendait
le moment d'intervenir en arbitre. Il continua :
Ayarahou ! (messieurs) Notre société se dégrade
continuellement à cause de notre comportement et des
entorses que nous portons à nos traditions. On n'est plus
fidèles aux anciennes exigences de nos aieuls. Et il ajouta :
Mani Tazlaft n'ouguerram ? (où est passé le plat que la
tribu préparait et dédiait chaque année au Saint du village?),
mani aajli l'moussem (où est passé le veau gras que
l'on sacrifiait au festival du Mouloud ?)
Il se retourna vers quelqu'un qui avait son âge et
poursuivit à voix moins haute :
Te souviens tu du Moussem de Sidi Cheikh où toute la
tribu participait à la fête ? Riches et pauvres se réjouissaient
de la même façon. Cela n'était pas désagréable, n'est-ce pas ?
Le sexagénaire hocha de la tête, l'air de dire : " très juste ",
avant d'ajouter :
Chaque année après la moisson la tribu allait requérir la
baraka du Saint. C'étaient des fêtes champêtres où l'on
écoutait Imedyazen et l'on dansait Ahidous.
Après le discours exaltant d'Oubensaid, intervint pour la
première fois dans la soirée Ali Bounnit - un grand travailleur,
qui habitait à la lisière de la forêt de chênes, à quelques
kilomètres du patelin - d'un ton amer il s'adressa à
l'assistance :
Ayaraou, iboulkhir souten lakhdiyt ibatatanou ! (les sangliers
ont impitoyablement saccagé ma pomme de terre),très tôt
ce matin, ils avaient fait une descente ravageuse où ils
avaient détruit, retourné et piétiné des dizaines de plants.
Boulakhouad esquissa un sourire moqueur, lança une
oeillade complice à son ami Afiyach et dit :
Aami Bounnit, les pauvres sangliers viennent seulement
te rappeler que c'est sur leur territoire que tu es installé.
L'assistance s'esclaffa.
Bounnit s'irrita :
Tu vas te taire, oui ?
Oubensaid attendit un instant que s'estompent les rires
soulevés par les paroles de Boulakhouad, et dit, en se
tournant vers le cavalier du garde forestier.
Nous n'allons pas laisser cet animal redoutable et néfaste
continuer à détruire l'agriculture de notre ami Bounnit.
Nous devons, avec l'aval de Bouari (garde forestier),
préparer une battue où l'on traquerait le sanglier jusque
dans ses gites.
Oukezza, tout en roulant sa cigarette de Tadriha, dit :
Je transmettrai à mon supérieur.
Ali Outamghart, profitant du tumulte de la discussion
s'inclina sur Oukezza pour lui dire :
Au fait, comment il est ce nouveau garde forestier ?
Il est consciencieux et incorruptible. Il ajouta en chuchotant :
Boujemaâ a jugé qu'il est temps de limiter les dégâts et
le pillage occasionnés à nos forêts. Il a adressé à ses
supérieurs un rapport accablant les exploitants forestiers
ne respectant pas les lois en vigueur, il comprend une liste
d'une dizaine de personnes, et à sa tête le véreux Oubaw.
Mais j'aimerais bien que ce que je viens de te dire
restera entre nous.
Han aoualench g'anou ! (ton secret restera dans un puits),
conclut Ali Outamghart
yousef a écrit:Merci pour cette suite!!!!!
Croyais que tu lisais pas
Ben ouais ! la première fois que tu commentes
sur ce post
Page 2 sur 2 • 1, 2
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum